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non plus la terrible loi qui tua Marie Stuart, ni même la sévérité bourgeoise qui sacrifia Clarisse Harlowe : quelque chose de plus tendre et de plus rêveur, comme une teinte secrète de catholicisme, s’est glissé peu à peu dans cette religion dure ; les larmes coulent, le repentir est consolé, l’aiguillon de la douleur s’émousse. Le ministre protestant devient presque un confesseur ; la faiblesse humaine a parlé plus haut que l’orgueil ; encore un pas, et vous aurez les flots d’encens, les images saintes qui pleurent et sourient, la procession aux robes et aux accens qui flottent dans l’air, la lueur mélancolique des vitrages et la solennelle élégie de l’orgue sous les voûtes qui gémissent.

Sans doute le mysticisme est ici plus délié que dans les œuvres de l’art purement catholique, l’émotion s’y montre plus métaphysique. Autour de la jeune femme anglaise mourante, c’est encore le protestantisme qui déploie ses ailes protectrices, la religion du foyer et de la famille. Je n’y vois pas surgir l’autorité redoutable de la vieille foi catholique qui lie, délie, tombe comme la foudre sur le coupable, ou tire le repentir du fond des abîmes ; mais ce n’est plus aussi le vieux dogme du terrible Knox, qui, passant devant de jolies femmes dans l’antichambre de Marie Stuart, leur criait : « Allez, cadavres, les colliers et les perles qui vous couvrent dureront plus que vous ! »

Philosophes, ne dédaignez pas ce conte écrit par une femme ; je vous conseille de vous arrêter un peu, et de méditer comment les doctrines changent à l’insu même des nations qui les professent et qui les ont défendues au prix de leur sang.


PHILARÈTE CHASLES.