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élancée ; l’enfant, frappée trop vivement, était tombée de l’arête extrême de la terrasse dans le torrent ; elle était morte.

Une violence passagère, voilà tout ; la vie d’Ellen sera perdue : l’auteur l’a voulu. Au siècle dernier, Hannah Moore eût choisi volontiers ce début et ce texte pour prouver aux filles anglaises la nécessité de la modération ; c’eût été le sujet d’un de ces sermons insipides qu’elle déguisait sous le titre de romans. Elle n’eût pas manqué de toucher en passant le dogme calviniste de la prédestination, auquel elle eût donné pour preuve l’acte d’Ellen et les suites de cet acte ; elle eût vivement appuyé sur cette autre injonction calviniste, l’importance des faits les plus insignifians de la vie humaine. Lady Georgiana n’est point Hannah Moore, je l’en félicite de tout mon cœur ; depuis le XVIIIe siècle, les nuances des doctrines ont changé ; une mysticité plus ardente, un besoin plus vif de consolation et d’appui sur cette terre respirent dans le roman nouveau. Vous diriez une aspiration sourde et douloureuse vers le catholicisme, tant il y a là de tendresse et de ferveur.

Le mal secret du remords subit un traitement différent sous la loi catholique et sous la loi protestante. Le catholicisme dit à l’homme : Obéis, crois, humilie ton orgueil, confesse-toi, tes fautes te seront pardonnées. Le protestantisme, au contraire : Examine ton ame, humilie-toi devant Dieu seul, sois sévère pour toi-même ; si Dieu l’a voulu, tu seras pardonné. — Ici l’autorité, là l’examen ; ici l’espoir et la confiance ; là incertitude, peut-être désespoir. Je ne décide pas théologiquement et moralement entre les doctrines, je les expose.

Le souvenir d’un seul acte coupable va poursuivre Ellen pendant toute sa vie ; les joies de son amour en seront empoisonnées, l’éclat de sa beauté s’en obscurcira, les loisirs de sa solitude y trouveront des fantômes, les suites d’un mouvement à peine volontaire l’envelopperont de soucis cruels, d’horribles intrigues, de douleurs brûlantes, et la plongeront toute jeune au tombeau. Telle est l’histoire que nous allons lire. Oiseau blessé, traînant de buisson en buisson, à travers sa courte vie, l’épine ensanglantée que rien n’arrachera de son cœur, nous la verrons mourir accablée sous cette angoisse. Avec le catholicisme et la confession, rien de tout cela n’était possible ; si, le jour même de la catastrophe, elle avait pu, comme dit Shakspeare, « alléger son ame de ce périlleux fardeau, » si un homme placé entre Dieu et elle avait eu le droit d’effacer la tache de sang, elle aurait pu vivre et moins souffrir. Le catholicisme est une religion d’autorité qui pardonne et châtie, le protestantisme une foi individuelle qui place les