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n’a commencé à s’infiltrer dans les classes élevées d’Angleterre que depuis environ un siècle. Tailleurs, maçons, marchands de vin et apprentis composaient l’avant-garde de Cromwell. Toute la cour de Charles II se moquait du calvinisme ; celle de Charles Ier penchait vers la foi catholique. On lit dans le rapport d’un nonce italien fort spirituel, qui s’appelait Panzani : « Presque tous les grands seigneurs anglais sont catholiques, sinon de profession, au moins de cœur et d’ame. »

Après la chute définitive de l’absolutisme et du génie catholique en Angleterre, le premier écrivain qui tenta la réconciliation de la sévérité calviniste et de l’élégance des mœurs fut Addison ; son style ingénieux, son agréable causerie, n’auraient pas suffi à lui assurer la place élevée qu’il occupe, s’il n’eût exercé une véritable influence politique ; promoteur et expression d’une civilisation mixte et nouvelle, grace à lui, on a pu se croire autorisé à porter des gants en restant dévot, et même se montrer poli envers les dames sans cesser d’aller au prêche.. Richardson, plus bourgeois et plus rigide, lui succéda ; après lui, le calvinisme, continuant, de se civiliser, enfanta en Écosse une petite subdivision d’école romanesque et d’analyse sentimentale ; Mackenzie, écrivain pâle et doux, auteur du Man of Feeling, en est le héros. A côté de lui parut l’intarissable et pieuse Hannah Moore, la Mme de Genlis de son pays, celle qui produisit Cœlebs in search of a wife (le Célibataire à la recherche d’une femme), le plus immoral des romans moraux, religieux et populaires ; une horde de femmes auteurs l’escorta, toutes prêchant la vertu, la prudence, la politique, le mariage, et quelques-unes les bonnes manières. Miss Burney et miss Edgeworth, reines de ce domaine, écrivirent à la fois le roman du grand monde et le roman religieux, ou plutôt elles fondirent un de ces genres dans l’autre. Depuis cette époque, M. Nard, auteur de Trevelyan, eut un grand succès en poussant la piété jusqu’au scrupule mystique, le : bon ton jusqu’au raffinement exquis.

Ellen Middleton, œuvre née dans les hautes régions actuelles de la pensée et des habitudes anglaises, procède, à l’insu de son auteur, de ces trois sources à la fois, du roman sentimental de Mackenzie, du récit religieux et métaphysique et du roman fashionable. Il n’est pas étonnant que lady Fullerton ait puisé, sans le savoir, à ces trois sources élevées qui l’entouraient. Mais, ce qu’il est utile de remarquer, c’est le changement subi par le calvinisme, devenu aristocratique et de bon ton, transformé dans ce livre en poésie métaphysique, et venant aboutir limites du catholicisme même, comme nous allons le voir.