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Les morts sans souvenir à l’éternelle nuit,
Avec d’ardens soupirs et d’un élan sincère
Il envia celui que le sépulcre enserre.

Même l’homme du peuple, et le moindre garçon
A qui certes jamais Zénon ne fit leçon,
Même la jeune fille, humble enfant qui s’ignore,
Qui se sentait dresser les cheveux hier encore
Au seul mot de mourir, tout d’un coup enhardis,
Ils vont oser régler ces apprêts si maudits,
Méditer longuement, d’un œil plein de constance,
Le poison ou le fer, leur unique assistance ;
Et dans un cœur inculte, et du reste ignorant,
La grace de la mort à la fin se comprend
Tant cette grace est vraie, et tant la discipline
De l’amour, vers la mort, doucement nous incline !
Souvent, lorsqu’à l’excès le soupir enflammé
Ne laisse plus de souffle au mortel consumé,
Ou bien le frêle corps, mourant de ce qu’il aime,
Sous l’effort du dedans se dissout de lui-même ;
Et la Mort, par son frère, en ce cas-là prévaut ;
Ou bien l’Amour au fond redouble tant l’assaut,
Que, n’y pouvant tenir et fatigués d’attendre,
Le simple villageois, la jeune fille tendre,
D’une énergique main, jettent leurs nœuds brisés,
Et couchent au tombeau leurs membres reposés.
Le monde en rit, n’y voit que démence ou faiblesse,
Le monde à qui le ciel fasse paix et vieillesse !

Mais aux bons, aux fervens, aux mortels généreux,
Puisse en partage échoir l’un ou l’autre des deux,
Amour ou Mort, seigneurs du terrestre domaine,
O les plus vrais amis de la famille humaine,
Que nul pouvoir n’égale ou prochain ou lointain,
Et qui dans l’univers ne cédez qu’au Destin !
Et toi qu’enfant déjà j’honorais si présente,
Belle Mort, ici-bas seule compatissante
A nos tristes ennuis, si jamais je tentai
Aux vulgaires affronts d’arracher ta beauté
Et de venger l’éclat de ta pâleur divine,
Ne tarde plus, descends, et que ton front s’incline
En faveur de ces vœux trop inaccoutumés !
Je souffre et je suis las, endors mes yeux calmés,