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Et le plus grand plaisir, ici-bas départi,
Sur ce vaste océan d’où chaque être est sorti.
L’autre à son tour fait taire, apaise en souveraine
Tout mal, toute douleur, si vive qu’elle prenne.
C’est une enfant très belle, et non point telle à voir
Que de lâches effrois la veulent concevoir
L’enfant Amour souvent l’accompagne et l’emmène ;
Ils volent de concert sur cette route humaine,
Portant à tout cœur sage allégeance et confort.
Et cœur ne fut jamais plus sage ni plus fort
Qu’atteint d’amour : jamais mieux qu’alors il ne prise
La vie à son vrai taux, et souvent il la brise ;
Car, partout où l’Amour se fait maître et seigneur,
Le courage s’implante ou renaît plein d’honneur,
Et la sagesse alors, non celle qu’on renomme,
Mais celle d’action, devient aisée à l’homme.

Lorsque nouvellement au sein d’un cœur profond
Naît un germe d’amour, du même instant, au fond,
Chargé d’une fatigue insinuante et tendre
Un désir de mourir tout bas se fait entendre.
Comment ? je ne sais trop ; mais telle est, en effet,
D’amour puissant et vrai la marque et le bienfait.
Peut-être que d’abord le regard s’épouvante
Du désert d’alentour où l’amie est absente ;
Peut-être que l’amant n’a plus devant les yeux
Qu’un monde inhabitable et qu’un jour odieux,
S’il n’atteint l’objet seul, l’idéal de son rêve :
Mais, déjà pressentant l’orage qui s’élève,
L’orage de son cœur, il tend les bras au port,
Avant que le désir ne rugisse plus fort.

Puis, quand le rude maître a pris en plein sa proie,
Quand l’invincible éclair se déchaîne et foudroie,
Combien, ô Mort, combien, au pire du tourment,
Monte vers toi le cri du malheureux amant !
Combien de fois, le soir ou plus tard à l’aurore,
Laissant tomber son front que la veille dévore,
Il s’est dit bienheureux, si du brillant chevet
Jamais dès-lors, jamais il ne se relevait,
Et ne rouvrait les yeux à l’amère lumière !
Et souvent, aux accens de la cloche dernière,
Aux funèbres échos de l’hymne qui conduit