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On voit déjà, par le peu que nous avons cité, que Leopardi a aimé ; il a l’air de n’avoir eu que deux amours (ce qui me paraît, en effet, très suffisant), celui qu’il appelle il primo amore, d’où l’on peut conclure que ce ne fut pas le seul, et celui de la personne qui chantait si bien et qui mourut, celle du Songe, de la Vie solitaire, de Silvia, des Souvenirs (le Ricordanze). Le chant de la personne aimée joue un grand rôle dans ces diverses pièces. L’éclair de désir passionné qui se reflète si vivement dans la pièce à Aspasie ne mérite pas le nom d’amour. Il résulterait de ces témoignages poétiques que Leopardi n’a connu de ce sentiment orageux que la première, la plus pure, la plus douloureuse moitié, mais aussi la plus divine, et qu’il n’a jamais été mis à l’épreuve d’un entier bonheur. Mais ce ne sont là que des conjectures sur le coin le plus mystérieux de ce noble cœur.

Leopardi partagea entre Milan et Bologne les années 1825-1826. Obligé, par la sévérité de son père, de demander secours à sa plume, il publia une édition des vers de Pétrarque avec commentaires (Milan, 1826) ; puis une Chrestomathie italienne, ou choix des meilleurs auteurs, vers et prose (2 vol., Milan 1827-1828). Les lecteurs de Pétrarque ne sauraient désirer un meilleur guide dans les mille sentiers du charmant labyrinthe ; il s’y moque finement, à la rencontre, du commun des lettrés italiens qui ne remontaient si haut ni si avant. J’ai omis de dire que l’édition de ses poésies de Bologne (1824) était accompagnée d’un commentaire grammatical de sa façon, dans lequel il se défendait contre les mêmes lettrés prétendus puristes. Ce commentaire affecte un ton de plaisanterie assez opposé d’ailleurs à son caractère, et n’a été écrit qu’en vue de la circonstance, pour faire niche à quelques pédans, à qui il se plaît à en remontrer en fait de classique.

De 1826 à 1831, Leopardi passa la plus grande partie de son temps à Florence, sauf un voyage qu’il fit à Recanati. Participant à la rédaction de l'Anthologie, entouré d’une société d’élite et d’amis déjà éprouvés (Capponi, Pucci, etc.), il y aurait trouvé quelque bonheur sans doute, si ses infirmités n’avaient augmenté de jour en jour. Il recueillit et publia, en 1827, ses Essais de morale (Operette morali, Milan), dont la plupart avaient précédemment paru dans divers journaux ; c’est le livre de prose auquel Manzoni décerne un si bel éloge. Leopardi, tout en y étant fidèle à lui-même, nous y apparaît sous un nouveau jour : le grand moraliste, que recèle tout grand poète, se déclare ici et se développe en liberté sous vingt formes ingénieuses et piquantes. On peut trouver que, pour le cadre, l’auteur s’est souvenu