Page:Revue des Deux Mondes - 1844 - tome 7.djvu/930

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à un voyageur, avez-vous lu ses essais de prose ? On n’a pas assez fait attention à ce petit volume ; comme style, on n’a peut-être rien écrit de mieux dans la prose italienne de nos jours. » La candeur de l’illustre auteur des Promessi Sposi se reconnaît en cette parole.

Quant à ses vers, Leopardi se rattachait directement au style des anciens par Alfieri et Parini, et en remontant plus haut. La langue italienne a cela de particulier, d’avoir offert, depuis cinq siècles, plusieurs momens vrais de renaissance ; elle le doit à ce qu’à ses débuts elle eut le bonheur de compter des chefs-d’œuvre. Le courant dans l’intervalle peut s’égarer ; mais il suffit de se remettre en communication avec les sommets pour retrouver le jet de la source. Après Dante, Pétrarque et Boccace, la langue italienne faiblit ; la renaissance grecque et latine l’encombre de débris et semble l’étouffer. Il fallut que Politien avec Laurent de Médicis rouvrît la route à l’Arioste et aux autres grands poètes de ce siècle. Après le Tasse, autre décadence ; les concetti abondent et corrompent tout. Des hommes de talent au XVIIIe siècle, Parini, Alfieri et Monti, essayent un retour généreux et sévère ; mais la révolution française interrompt et contrarie les efforts ; l’invasion implante moins de gallicismes qu’on ne dit, elle nuit pourtant comme toute invasion ; il fallut que cette œuvre de Parini et d’Alfieri fût reprise par Manzoni, Leopardi et autres, et elle le fut avec un vrai succès. On ne saurait, en France, comparer ce privilège heureux de l’Italie à nos efforts estimables et incomplets d’archaïsme studieux. Les Grecs avaient Homère à l’horizon, les Italiens ont Dante : voilà des marges immenses. Notre lointain horizon, à nous, ce n’est qu’une ligne assez plate. Nous ne remontons guère par la pratique au-delà de Rabelais ou de Ronsard, et encore que d’efforts et de faux pas pour y arriver ! Aussi le siècle de Louis XIV reste aisément, pour l’aspect de la langue, notre bout du monde ; la colline est admirable de contour, mais elle est bien prochaine ; entre elle et nous il n’y a guère d’espace pour ces évolutions que présente l’Italie, qu’accomplissait la Grèce, que l’Angleterre elle-même se peut librement permettre moyennant son Shakspeare.

Le caractère technique et la qualité des vers de Leopardi seraient à déterminer ; il emploie assez volontiers, mais non pas du tout exclusivement, ni même le plus habituellement, les sciolti : à quelle école appartiennent les siens ? Les critiques italiens en distinguent de deux sortes et comme de deux familles : ceux qui datent de Frugoni, plus fastueux, plus pompeux, plus redondans et colorés, et ceux de Parini, plus sobres, plus châtiés, d’une élégance plus discrète. A la première