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dans son chant à Angelo Mai. Ce savant et actif investigateur venait de retrouver la République de Cicéron après les Lettres de Fronton on se demandait où s’arrêteraient de telles découvertes. Quoi ? les antiques ayeux ressuscitaient de la tombe, et les vivans n’y répondaient pas ! Oh ! du moins, lors de la grande renaissance des lettres, la ruine de l’Italie n’était pas consommée ; l’étincelle du génie circulait dans l’air au moindre souffle. Les cendres sacrées de Dante étaient chaudes encore, et le doux luth de Pétrarque n’avait pas cessé de frémir. Leopardi part de là pour célébrer le hardi Colomb, et l’Arioste, et le Tasse, en des couplets qui sont tour à tour de la plus gracieuse ou de la plus fière beauté. Je reprends le chant à ce qu’il dit de Pétrarque


« Et tes douces cordes murmuraient encore au toucher de tes doigts, Amant infortuné. Hélas ! c’est par la douleur que naît et commence le chant italien. Et pourtant il pèse et mord moins cruellement le mal qui blesse avec douleur, que l’ennui qui étouffe. O bienheureux toi dont les pleurs furent la vie ! Pour nous, l’ennui nous a serré dans ses nœuds ; pour nous, près du berceau comme sur la tombe, s’assied immobile le néant.

« Mais ta vie était alors avec les astres et avec la mer, audacieux enfant de Ligurie, quand au-delà des colonnes d’Hercule, et par-delà les rivages où l’on croyait sur le soir entendre frémir l’onde au plonger du soleil, te confiant aux flots infinis, tu retrouvas le rayon de ce soleil qu’on croyait tombé et le jour qui naît quand pour nous il a disparu. Tout le contraste de la nature fut rompu par toi, et une terre inconnue, immense, servit de trophée de gloire à ton voyage et aux périls de ton retour. Hélas ! hélas ! le monde mieux connu ne s’accroît point, mais plutôt il diminue, et l’éther résonnant, la féconde terre et la mer paraissent bien plus vastes au tout petit enfant qu’au sage.

« Où sont-ils allés nos songes fortunés qui nous montraient de ce côté l’inconnue retraite d’habitans inconnus, ou bien le lieu d’abri des astres durant le jour, et le lit mystérieux de la jeune Aurore ; et le sommeil caché du grand astre durant les nuits ? Voilà qu’ils se sont évanouis en un instant, et le monde est figuré sur une carte étroite ; voilà que tout devient semblable, et la découverte ne fait qu’accroître le néant. Le vrai à peine touché t’interdit à nous, ô imagination chérie ; notre esprit se retire de toi pour toujours ; les années viennent nous soustraire à ton premier pouvoir si plein de prodiges, et la consolation de nos chagrins périt.

« Tu naissais cependant aux doux songes, et le premier soleil te donnait en plein dans le regard, ô chantre aimable des armes et des amours… »

Je m’arrête, mais on comprend tout ce que va gagner en poésie et en fraîcheur ce portrait de l’Arioste venant aussitôt après les teintes sévères