Page:Revue des Deux Mondes - 1844 - tome 7.djvu/917

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que lui dicte la fantaisie en ses meilleurs jours, a parlé de Leopardi plus en détail, bien qu’à l’improviste et avec une sorte de brusquerie faite d’abord pour étonner. Le poète, se fâchant contre les versificateurs et rimeurs qui délaient leur pensée, s’écriait :

Non, je ne connais pas de métier plus honteux,
Plus sot, plus dégradant pour la pensée humaine
Que de se mettre ainsi la cervelle à la gêne,
Pour écrire trois mots quand il n’en faut que deux,
Traiter son propre cœur comme un chien qu’on enchaîne,
Et fausser jusqu’aux pleurs que l’on a dans les yeux.

O toi qu’appelle encor ta patrie abaissée,
Dans ta tombe précoce à peine refroidi,
Sombre amant de la Mort, pauvre Leopardi,
Si, pour faire une phrase un peu mieux cadencée,
Il t’eût jamais fallu toucher à ta pensée,
Qu’aurait-il répondu, ton cœur simple et hardi ?

Telle fut la vigueur de ton sobre génie,
Tel fut ton chaste amour l’âpre vérité,
Qu’au milieu des langueurs du parler d’Ausonie,
Tu dédaignas la rime et sa molle harmonie,
Pour ne laisser vibrer sur ton luth irrité
Que l’accent du malheur et de la liberté.

De tels traits, à coup sûr, sont caractéristiques du noble talent que le poète français invoque ici en témoignage. Pourtant, si l’on a trouvé singulier que Boileau, s’adressant à Molière, lui dise tout d’abord par manière d’éloge :

Enseigne-moi, Molière, où tu trouves la rime,


il peut sembler également assez particulier que le premier éloge accordé ici à Leopardi soit de s’être passé de la rime, ce qui est possible en italien, mais à de tout autres conditions qu’en français, et ce qui d’ailleurs ne paraît point absolument vrai du savant poète dont il s’agit. Dans tous les cas, il y a sur Leopardi, comme sur Molière, bien d’autres caractères distinctifs qui frappent à première vue.

Trop étranger que je suis habituellement à l’étude approfondie des littératures étrangères, persuadé d’ailleurs que la critique littéraire n’a toute sa valeur et son originalité que lorsqu’elle s’applique à des sujets dont on possède de près et de longue main le fonds, les alentours et toutes les circonstances, il semble que je n’aie aucun titre