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ignorante et cruelle, livrée à l’indolence et dominée par les mauvaises passions. La première cause de faiblesse et de ruine pour le Brésil fut l’insouciance coupable des rois de Portugal. Tandis que l’Espagne imprimait une forte direction à ses colonies, le Portugal laissait les vice-rois gouverner à leur guise, et ceux-ci exploitaient le pays dans leurs propres intérêts. Tout porte au Brésil la trace de l’avarice et de l’ignorance de ces souverains indignes de leur noble mission. Nulle part on ne trouve ces somptueux édifices d’utilité publique qui ont marqué la domination espagnole : l’aqueduc de Rio-Janeiro est le seul monument qui conserve le souvenir des anciens possesseurs du pays. Il y eut pour la colonie des temps d’opulence, mais c’est le Portugal qui en profita seul ; le Brésil n’était pour lui qu’une vaste exploitation d’or et de diamans. On veillait avec un soin jaloux sur les richesses de la terre, et on laissait sans direction, sans frein moral, une population énervée ; ne fallait-il pas la tenir en enfance pour la ruiner plus librement ? Aussi les étrangers étaient-ils repoussés avec une rigueur impitoyable ; on redoutait leur influence, on voulait éviter le partage, on craignait surtout une révolte qui n’eût pas manqué d’éclater dans une société ouverte au luxe et à la civilisation de l’Europe. On ne put réussir complètement sans doute, le jour de l’affranchissement devait venir, et il vint ; malheureusement il était trop tard, l’égoïsme des Portugais avait porté ses fruits. La conséquence naturelle de l’émancipation devait être une révolution morale qui se fait encore attendre. Affaiblie par un long esclavage, la population semble impuissante à supporter un nouveau régime.

La forme actuelle du gouvernement entrave peut-être plutôt qu’elle ne sert le développement moral et intellectuel de la nation. On ne saurait préparer avec trop de soin, dans un pays long-temps soumis au pouvoir absolu, le passage difficile du despotisme à la liberté. La mise en mouvement des rouages d’un gouvernement constitutionnel exige une sagesse, une prudence extrêmes dans ceux qui dirigent les affaires comme dans ceux qui représentent la nation. Cette sagesse, cette prudence, on ne les rencontre guère que dans les sociétés vieillies sous l’influence féconde et bienfaisante de la civilisation. Pouvait-on les demander aux Brésiliens ? Pouvait-on espérer que des hommes qui savent à peine obtenir de leurs habitations des revenus suffisans, seraient aptes à traiter les grandes affaires, à discuter les questions : politiques’ Rien n’eût été perdu encore si ces hommes grossiers et ignorans eussent pu accepter le contrôle et la direction des esprits supérieurs, mais tout député brésilien se croit un homme d’état, tout fermier qui