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fin à la guerre civile. La bataille eut lieu à San-Lucia. Le baron Caxias ne disposait que de trois mille hommes : mal secondé par ses lieutenans, il sut, à force d’énergie et de présence d’esprit, remédier aux inconvéniens d’un mauvais plan d’attaque. Le succès justifie toutes les fautes, et le succès fut complet ; après la bataille de San-Lucia, il n’y eut plus de réunion armée. Près de cinq cents hommes furent tués ou blessés dans cette affaire, qui se prolongea depuis le lever du soleil jusqu’à la nuit. Il eût été facile, je crois, au baron Caxias, qui commandait des troupes régulières et qui avait de l’artillerie, d’éviter une si grande effusion de sang. Le président José fut presque le seul des fauteurs de la révolte qui put s’échapper.

Telle fut la fin de cette petite guerre, qui avait duré plus de trois mois. Il n’eût fallu qu’un peu plus d’ensemble et d’activité pour rendre ce mouvement très grave. José Feliciano avait eu le tort de remuer sans ménagement les passions populaires ; il avait armé sans distinction tous ceux qui venaient s’offrir à défendre la cause de la révolte. Cette conduite imprudente effraya les propriétaires ; qui devinrent les plus fermes soutiens du gouvernement. La désunion amena d’atroces représailles : des menaces de mort furent proférées contre ceux qui restaient indifférens ; des bandes armées parcouraient le pays, pillant tout sur leur passage. L’insurrection ne fut plus qu’un prétexte pour se livrer au désordre et exercer des vengeances. On pouvait prévoir l’issue d’un mouvement ainsi compromis à son origine. Le moment n’était pas venu d’ailleurs de proclamer la république ; il eût fallu que Bahia, Fernambouc, eussent donné le signal de la lutte contre le pouvoir monarchique. A part le clergé[1] et quelques propriétaires influens, la rébellion ne recruta que des hommes toujours prêts au désordre. Aussi les deux provinces de San-Paulo, de Minas-Geraës, une fois pacifiées, les autres parties du Brésil restèrent tranquilles. Nous le répétons, c’est par la faute des chefs que l’insurrection se réduisit à une sanglante échauffourée. Le mouvement eût pu devenir général, car l’union du Brésil n’est qu’apparente, et toutes les provinces n’aspirent qu’à l’indépendance ; une république formée sur le modèle des États-Unis, tel est le rêve dont elles poursuivent l’accomplissement. Ici encore l’orgueil national se trahit : les Brésiliens se croient trop civilisés pour avoir besoin d’un gouvernement même constitutionnel !

Après la victoire de San-Lucia, le ministère devait se croire fort

  1. Le clergé avait pris parti pour les rebelles, mais son influence est nulle au Brésil ; plusieurs prêtres pourtant payèrent de leur personne, et l’on trouva des ecclésiastiques parmi les morts de San-Lucia.