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parer l’avenir. Certes, jamais occasion plus belle ne s’est présentée à la France d’augmenter l’influence légitime qu’il lui est permis d’exercer sur la Belgique. Et quand nous parlons d’influence, qu’on ne se méprenne pas, de l’autre côté de la frontière du nord, sur le sens de nos paroles. C’est d’une influence toute morale que nous voulons parler, de celle qu’assure à un grand peuple, voisin d’un petit état, l’étroite union de tous les intérêts durables, qui s’appuie enfin sur les seules alliances réelles, les alliances où l’on donne autant que l’on reçoit. Du reste, quand le respect des nationalités et le sentiment de notre mission ne nous indiqueraient pas qu’il nous convient d’être les amis plutôt que les maîtres des petits peuples groupés autour de nous, notre intérêt bien entendu nous imposerait le devoir de faire une exception pour la Belgique et de ne chercher à exercer sur elle qu’une influence librement consentie. Il est possible que l’occasion revienne pour la France de reprendre ses projets d’autrefois ; si par malheur une guerre continentale éclatait, les prétextes ne nous manqueraient pas pour nous autoriser à prendre possession de la Belgique : nous aurions bientôt le territoire, les villes, les richesses ; mais nous n’aurions point le peuple, et, qu’on le sache bien, il se rangerait contre nous au premier revers. Nous n’avons plus qu’une conquête possible du côté du nord ; il nous faut conquérir l’affection de cette petite nationalité jalouse, qui nous voit toujours prêts à la dévorer, et nous n’y parviendrons qu’en l’attaquant par ses intérêts, qu’en y mêlant les nôtres de telle sorte qu’un jour nous ne puissions pas plus nous passer de son indépendance qu’elle ne pourra se passer de notre bon vouloir.

Or, n’est-ce pas quand la Belgique vient de voir s’évanouir ses illusions au sujet d’une alliance intime avec l’Allemagne que l’heure précise est arrivée d’inaugurer cette généreuse et grande politique ? Ne doit-on pas craindre que cette heure ne passe vite et ne revienne plus, du moins aussi singulièrement propice ? Nous ne conseillons point de reprendre l’union douanière dont il fut tant question il y a deux ans. Nous avons regretté comme tout le monde en France l’abandon trop brusque d’une tentative d’alliance commerciale qui, si elle eût réussi, aurait fixé à jamais nos rapports avec la Belgique et assuré d’un trait de plume cette pacifique influence qu’il nous importe tant d’exercer sur elle ; cependant nous comprenons que cette négociation, si brillamment commencée, ait eu un si pauvre résultat. Le projet était vaste et séduisant ; mais il n’a été ni prudemment préparé ni lentement mûri. Ce sont les Belges qui ont l’honneur d’avoir inventé l’union douanière, qui ont jeté tout à coup le mot et l’idée, sans aucun préambule, au milieu du jeu de notre machine industrielle, toute montée pour la protection et même la prohibition, sans trop se demander ce que l’un et l’autre valaient et où ils allaient ; il leur semblait que rien ne fût plus simple et plus facile que de calquer le Zollverein. Pourquoi le mur de tarifs qui les séparait de la France ne tomberait-il pas, comme étaient tombées les barrières entre les