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de s’emparer de cette suprématie tant redoutée par eux ; ils ont compris qu’en s’attachant plus étroitement à l’une, ils se trouveraient malgré eux avec celle-ci contre l’autre, et pour fuir cette alternative, ils se sont flattés de pouvoir tenir la balance entre toutes les deux, en traitant tour à tour avec elles, en n’accordant pas à la France un avantage commercial dont l’Allemagne n’eût aussitôt sa part, en conduisant de front deux négociations contraires, l’une pour la fusion des intérêts belges avec le Zollverein, l’autre pour l’union douanière avec la France. Cette tactique, au premier aspect, a un caractère fâcheux de duplicité ; elle ressemble fort à la politique des ducs de Savoie, qui, considérant leur petite puissance militaire comme un appoint aux forces des deux grandes monarchies européennes, la France et l’Empire, marchandaient leur alliance à tous les deux et passaient sans scrupule d’un parti à l’autre, selon qu’ils y voyaient leur profit. Cependant l’analogie n’est que superficielle ; ce n’est point l’ambition, c’est un sentiment de conservation qu’on ne peut blâmer, le désir de maintenir intacte l’indépendance nationale, qui a poussé les hommes d’état belges dans cette voie. Malheureusement pour eux, la rupture avec le Zollverein, en même temps qu’elle a démasqué leurs finesses diplomatiques, vient d’en démontrer les déplorables résultats.

Au moment où cette rupture a éclaté, voici comment on en expliquait la cause. On sait qu’au mois de juillet 1842, le gouvernement belge, alarmé des conséquences d’une disposition générale que notre cabinet venait de prendre contre l’introduction des lins et des toiles étrangères, avait obtenu à force d’instances qu’il fût fait une exception à cette mesure en faveur des produits belges. Le prix de cette faveur était un abaissement notable des droits sur nos vins et sur nos soieries. Cependant, un mois plus tard, on vit avec surprise en France le gouvernement belge, qui devait s’estimer si heureux de l’exception qu’il venait d’obtenir, appliquer de son propre mouvement, et sans que la Prusse eût semblé solliciter cette faveur, aux vins et aux soieries de provenance allemande le tarif réduit pour les produits similaires de provenance française. L’arrêté du 28 août 1842, qui consacrait cette disposition, était provisoire, à la vérité : il ne devait avoir d’effet que pour le terme d’une année. Sans doute, se disait-on, la Belgique espérait qu’avant les douze mois révolus, la Prusse répondrait par des concessions également spontanées à cette gracieuse avance. L’année s’écoula ; la Prusse n’ouvrit point ses bras. Le cabinet de M. Nothomb, sans se décourager, reporta le terme fatal jusqu’au mois d’avril de cette année : même dédain de la part de l’Allemagne. Enfin ce cabinet prend le parti de ne pas renouveler l’arrêté du 28 août, paraissant avouer ainsi l’inutilité de ses prévenances, et l’ancien tarif sur les vins et les soieries allemandes succède, à partir du 1er avril, au nouveau. Alors seulement la Prusse s’émeut ; au nom du Zollverein, elle trouve mauvais qu’on lui ait retiré brusquement une faveur qu’on lui avait jetée à la tête, et, par mesure de représailles, elle frappe