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majorité ? En de pareilles conjonctures, tout esprit sage doit hésiter, et ne pas mettre en avant des hypothèses hasardées.

Quoi qu’il puisse arriver, l’Europe nous voit et nous juge. On nous a accusés devant elle d’être ambitieux et de vouloir la guerre : c’était le cri de la presse de Londres il y a peu de jours ; c’est le mot d’ordre donné à tous les agens anglais sur le continent. L’accusation est répandue surtout dans les cours du Nord. Là, on s’appuie sur les préventions naturelles que rencontre chez des gouvernemens absolus un gouvernement libre, fondé sous les auspices d’une dynastie nouvelle. On nous représente comme un peuple inquiet, d’une liberté orageuse et d’une humeur conquérante, que ses revers n’ont pas suffisamment instruit, que le sentiment exagéré de sa force domine, et qui n’a pas cessé d’être dangereux pour la paix du monde. La presse française repousse ces accusations injustes, et elle en a le droit. Quel gouvernement a été plus pacifique et moins ambitieux que le nôtre depuis la révolution de juillet ? Qu’avons-nous fait pour troubler la paix ? Le lendemain d’un soulèvement populaire, dans la plus grande effervescence des esprits, au milieu des passions belliqueuses excitées par le réveil du sentiment national, notre gouvernement est resté calme ; les désirs de gloire et de puissance ont été contenus ; les souvenirs de 1815, les ressentimens légitimes, les haines, ont été comprimés ; les velléités de propagande ont été étouffées. Cependant les provinces rhénanes s’agitaient, la malheureuse Italie se ranimait, la Pologne se soulevait pour mourir, et la France, indignée et frémissante, n’a pas remué. Si nous avons protégé les institutions libres en Espagne, en Portugal, en Belgique, en Grèce, nous l’avons fait de concert avec l’Angleterre, et du consentement de l’Europe. La question d’Ancône et celle de Luxembourg ont montré jusqu’où pouvaient aller notre désintéressement et notre résolution sincère de maintenir la paix.

Toutefois, une nation comme la France ne peut rester immobile. Après avoir témoigné si clairement nos dispositions pacifiques et notre respect pour les traités, pour ceux même dont nous avons le plus souffert, plusieurs circonstances se sont présentées où le sentiment de nos droits et le soin de notre dignité, gage de notre indépendance, nous ont portés à réclamer une part légitime d’influence au dehors. Les démêlés de l’Orient ont fait naître la question d’Égypte. L’histoire dira si nous avons élevé en 1840 des prétentions excessives. Dans tous les cas, la manière dont nous les avons soutenues et la conclusion du débat n’ont pu donner au monde une idée bien menaçante de notre esprit de domination. Peu de mois après le bombardement de Beyrouth, nous avons signé la convention des détroits, nous avons offert de rentrer dans le concert européen, et nous avons tendu cordialement la main à l’Angleterre, voulant, au risque de lui faire prendre notre empressement pour une faiblesse, lui témoigner par ce procédé l’oubli d’une injure récente, et une généreuse confiance dans ses intentions amicales.

En quoi donc sommes-nous des ambitieux et des amis de la guerre ? Est-ce parce que nous avons tiré vengeance de quelques insultes commises envers