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Sans parler des bruits que l’on a répandus depuis deux jours sur l’ordre donné par l’empereur de saisir Abd-el-Kader, il est permis d’espérer que ces évènemens mettront bientôt un terme à la guerre du Maroc. Abderrahman et son peuple sentiront la nécessité de faire la paix, et de nous offrir les garanties que nous avons droit d’exiger. M. Guizot, un peu confus peut-être au milieu de tant de gloire, se trouvera ainsi débarrassé, comme par enchantement, d’une grande difficulté qu’il avait aggravée par ses fautes. Les engagemens qu’il avait pris dès le début avec l’Angleterre, ses confidences au sujet des instructions destinées à l’escadre, sa confiance excessive dans les résultats de la médiation anglaise, étaient autant d’imprudences qui pouvaient compromettre le succès des opérations militaires, si le prince et le maréchal n’eussent compris qu’il était urgent d’aller jusqu’au bout des limites accordées à leurs pouvoirs.

Il est inutile d’ajouter que les satisfactions données par le Maroc doivent être complètes. Nous devons exiger les garanties nécessaires pour assurer désormais le repos de l’Algérie. La France ne peut avoir dépensé son sang et ses trésors pour des réparations illusoires.

Si la question du Maroc a cessé de troubler les esprits, il n’en est pas de même de l’affaire de Taïti, qui pourrait bien se compliquer par le secret dépit que donnent à l’Angleterre les succès de notre marine. Les négociations sont toujours pendantes à Londres et à Paris. On a fait là-dessus bien des versions différentes ; voici, selon nous, la véritable. L’Angleterre n’a pas envoyé son ultimatum. Elle demande le rappel de M. Bruat et de M. d’Aubigny. Ces conditions ne sont pas acceptées par M. Guizot. Il consent seulement à exprimer un blâme sur la nature des procédés employés par M. d’Aubigny à l’égard de M. Pritchard. Les négociations en sont là. On sait en outre que lord Cowley presse vivement le cabinet de Londres de s’en tenir au rappel de M. d’Aubigny ; mais l’arrangement ne pourrait être conclu sur cette base : M. Guizot ne consent pas au rappel, il n’offre que le blâme des procédés.

Blâmer M. d’Aubigny serait une concession. Après le langage tenu par M. Peel à la chambre des communes, cette concession serait grave. Est-il juste que la France l’accorde ? Cela dépend sans doute de circonstances que nous ignorons, que le public jusqu’à présent ignore comme nous, et dont M. Guizot est instruit. Lorsqu’on nous dira les faits, nous les apprécierons. Quant au rappel de M. d’Aubigny, il est impossible. On peut le blâmer, s’il a manqué aux égards dus à M. Pritchard ; on ne peut lui infliger l’humiliation d’un rappel, s’il a usé d’un droit, s’il a agi légalement dans un intérêt français, pour garantir la sécurité du poste confié à sa prudence et à son honneur.

On s’accorde généralement à dire que M. Guizot montre en ce moment de la fermeté. C’est une qualité nouvelle chez lui ; l’exemple du prince de Joinville et du maréchal Bugeaud lui a profité. Du reste, plusieurs de ses amis ne lui ont pas caché que sa situation était critique. Ils lui ont déclaré qu’ils ne pourraient plus le soutenir, s’il se rendait coupable d’une faiblesse.