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En comparant la Trinité chrétienne avec celle d’Alexandrie, M. Jules Simon ne compare donc rien moins que les deux philosophies rivales, et bien qu’il ait presque toujours limité ses conclusions à ce dogme capital, elles ont par la force même des choses une portée beaucoup plus étendue. Dans ce grand débat agité en des sens si divers, M. Jules Simon a pris une position qui, je crois, lui appartient en propre, et qui appelle le plus sérieux examen. Les uns soutiennent, comme on sait, que la Trinité chrétienne est un emprunt fait à Platon et aux alexandrins, et prétendent invoquer en leur faveur l’autorité et les aveux de plus d’un illustre père de l’église, saint Justin par exemple et saint Augustin. Les autres accusent les alexandrins de s’être faits les plagiaires du christianisme. C’est la thèse de la plupart des apologistes de l’église. Déjà Théodoret élevait cette accusation contre Plotin ; elle a été depuis mille fois répétée. Des deux côtés on suppose que les deux trinités sont analogues. Or, M. Jules Simon s’attache précisément à démontrer qu’elles sont essentiellement différentes ; d’où il conclut que de part et d’autre l’imitation a été impossible. Si l’on veut que l’un des deux dogmes ait influé sur l’autre, on ne peut admettre en tout cas que le christianisme ait imité ou dérobé l’école d’Alexandrie ; car, suivant M. Jules Simon, la théorie chrétienne de la Trinité, et en général les dogmes fondamentaux du christianisme, étaient constitués bien avant la naissance de cette école. M. Jules Simon paraît donc incliner à admettre l’originalité parfaite de la Trinité chrétienne. Elle n’est point, suivant lui, dans Platon ; elle n’est entrée dans Alexandrie que long-temps après l’organisation définitive du christianisme ; c’est donc là un dogme parfaitement propre à l’église. Les alexandrins seuls pourraient être plagiaires, ou si l’on veut imitateurs. Mais M. Jules Simon, se fondant sur les différences des deux trinités, préfère absoudre tout le monde.

Nous ferons deux parts dans ces conclusions : qu’il y ait entre la Trinité alexandrine et celle du christianisme de profondes différences, il faut reconnaître que M. Jules Simon l’a démontré d’une manière péremptoire et avec la plus rare habileté. C’était là son principal objet, et ce sera certainement un des grands, résultats de son entreprise historique. Mais à quelle condition M. Jules Simon a-t-il démontré cette thèse ? À condition de prendre pour base de sa comparaison, d’une part la doctrine de Plotin, de l’autre le symbole de Nicée. C’est en effet dans ce symbole que l’on trouve pour la première fois une doctrine organisée, précise, explicite, sur la Trinité. Mais le concile de Nicée est du IVe siècle, et le système de Plotin est antérieur d’un siècle environ.