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d’effectif ? Est-ce s’incliner devant une métaphore, adorer des formules vides de sens, embrasser une ombre, un néant ? Assurément on ne l’entend pas de la sorte. Où prenons-nous cependant, après tout, le type réel et positif de l’intelligence, le type de la justice, si ce n’est dans le moi lui-même, modèle primitif et universel de toutes nos conceptions ? Or, s’il n’y a aucune ressemblance, aucune analogie (c’est ce que l’on soutient positivement) entre notre intelligence, notre être, et l’intelligence et l’être de Dieu, de quel droit dirons-nous que Dieu est une intelligence et un être ? de quel droit dirons-nous même qu’il y a un Dieu ? C’est véritablement alors que nous prononcerions des paroles vides de sens. Mais, dira-t-on, vous tombez dans l’anthropomorphisme. Vous faites Dieu semblable à l’homme. Vous souillez sa majesté de toutes les imperfections de notre nature. Votre Dieu n’est que le moi divinisé ; votre Dieu n’est qu’une idole. — Je réponds à mon tour : Pour faire Dieu trop grand, vous en compromettez l’existence. Pour rendre la raison modeste, vous la faites pyrrhonienne. Si Dieu ne peut être connu positivement par la raison, c’en est fait de la raison et de Dieu. Toute connaissance négative implique une connaissance positive ; si le mot Dieu ne répond dans mon esprit et dans mon ame à aucune idée positive, toute affirmation sur Dieu est arbitraire, vaine et inintelligible. Toute philosophie et toute religion sont égales, également vaines. L’histoire n’a plus de sens. Le dieu de Platon n’est pas plus vrai que celui de Thalès et d’Héraclite. Le dieu des chrétiens n’est pas plus saint et plus pur que ceux du paganisme et que les plus grossiers fétiches. On n’a plus de critérium pour les distinguer, et il faut tomber dans l’indifférence absolue des philosophies et des religions.

Réduisons la question à ses termes les plus précis : si une intelligence finie ne peut connaître positivement que ce qui lui est analogue, alors, j’en conviens, plus de système sur le rapport du fini et de l’infini, plus de science de l’infini lui-même, mais alors aussi plus de philosophie, plus de religion, plus de Providence, plus de Dieu. Admet-on ces tristes conséquences ? On est sceptique, mais on est logicien. Si, au contraire, l’on accorde une fois que la raison a l’idée de l’absolu, qu’il y a un rapport possible entre une raison finie et un être infini, je dis que c’est une faiblesse et une inconséquence de s’arrêter là, et, contredisant à la fois la logique et le genre humain, de soutenir que nous n’avons aucune connaissance positive de la nature de Dieu, et qu’il n’y a rien de commun entre son être et le nôtre. Spinoza, lui aussi, disait qu’entre la pensée de Dieu et la nôtre il n’y a pas plus de ressemblance