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quel prix, par le dualisme. Mais imputer à Platon le dualisme et un Dieu mobile, c’est fermer les yeux sur la méthode de Platon, c’est s’inscrire en faux contre ses doctrines explicites, c’est sacrifier à un ou deux passages secondaires d’une explication difficile tous les grands monumens de la philosophie platonicienne ; c’est mal comprendre la polémique d’Aristote et la véritable différence qui sépare le maître du disciple ; enfin, c’est se condamner à laisser dans l’ombre l’intime lien qui rattache tout ensemble le panthéisme et le mysticisme des alexandrins à la philosophie de Platon. M. Jules Simon veut que le Dieu du Timée occupe le troisième rang dans la Trinité alexandrine ; mais il sait bien que le Dieu du Timée, c’est l’intelligence, enfermant en soi les types des êtres et toutes les formes de la vie. Ce Dieu serait donc tout au plus la seconde hypostase, et non la troisième, et M. Jules Simon sait aussi que nous sommes sur ce point parfaitement d’accord avec les deux plus grands philosophes d’Alexandrie, Plotin et Proclus.

Si l’on peut reprocher à M. Jules Simon d’être trop favorable aux alexandrins, quand il expose leur doctrine et leur suppose une originalité qu’ils n’ont pas, il faut reconnaître qu’il est juste et sévère pour eux, quand il discute et apprécie la valeur de leurs spéculations. C’était là la partie la plus difficile de la grande tâche qu’il s’est proposée ; disons tout de suite qu’il s’en est acquitté, en ce qui touche le mysticisme alexandrin, d’une manière supérieure. Il est impossible de remonter aux causes philosophiques du mysticisme de Plotin, et en général de tout mysticisme, avec une sagacité plus pénétrante, et de mettre à nu avec plus de vigueur et de solidité l’illusion sur laquelle repose cet étrange et curieux système.

Les mystiques tombent dans une confusion qui, pour être assez naturelle à toute intelligence éminemment spéculative, n’en est que plus dangereuse ; ils confondent les conditions sous lesquelles s’exerce la raison dans une intelligence imparfaite avec l’essence et le fonds même de la raison. Lors donc que, dans leur effort sublime pour atteindre le principe de toute existence, ils arrivent à un être absolument dégagé de toute condition, à un être que l’on ne peut concevoir dans le temps, dans l’espace, qu’on ne peut rapporter à une cause supérieure, à un être en un mot à qui on ne peut assigner aucune limite, et en qui on ne peut concevoir aucune diversité, ils s’imaginent que la raison est condamnée à se contredire avec elle-même, étant forcée de concevoir un être inconcevable, de nommer un être ineffable, d’assujétir à une condition un être absolument inconditionnel. C’en est donc fait de la science, et il faut tomber dans le scepticisme et le désespoir, s’il n’y