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alexandrins est donc à la fois le Dieu de Platon, le Dieu de Pythagore et d’Élée, le Dieu d’Aristote, le Dieu d’Héraclite et de Chrysippe. En lui se résument et se concilient tous les systèmes ; par lui aussi s’expliquent toutes les religions. Les trois dieux d’Orphée, Phanès, Uranus et Cronus, sont les trois hypostases de la Trinité divine. Orphée lui-même n’est qu’un anneau de la chaîne dorée qui remonte jusqu’au grand révélateur égyptien Hermès, et Pythagore connut la Trinité quand il fut initié par l’archiprêtre Sonchide aux mystères égyptiens. Ainsi, tout s’unit, la philosophie et la religion, l’Orient et la Grèce, tous les dieux, tous les sages, tous les poètes, toutes les traditions.

Cette théorie d’un Dieu en trois hypostases est le fond de la philosophie des alexandrins. Leur platonisme, leur éclectisme, leur mysticisme, tous les caractères de leur doctrine sont là. Il est aisé d’y marquer aussi la place de leur panthéisme. La même loi en effet qui préside aux rapports des hypostases divines leur sert à expliquer le rapport de Dieu au monde, de l’éternité au temps, de l’infini au fini ; cette loi, c’est celle de l’émanation. De même que l’Intelligence émane de l’Unité, l’Ame de l’Intelligence, nous voyons le système entier des êtres de la nature sortir de l’Ame universelle, premier anneau d’une chaîne d’émanations successives qui n’a d’autre terme que celui du possible.


Telle est l’idée que nous nous formons de la philosophie alexandrine ; elle est un développement original du platonisme. Ce développement, fondé d’ailleurs sur les lois mêmes de la pensée, a été déterminé par deux grandes causes : l’esprit du temps, qui inclinait avec force toutes les ames au mysticisme ; l’invasion des idées orientales, qui les poussait dans le même sens. De là un vaste système, platonicien par sa méthode et ses tendances générales, mystique et panthéiste par ses résultats, capable à ce double titre de se mettre en harmonie tout ensemble avec les traditions de la philosophie grecque et l’esprit nouveau qui de l’Orient soufflait sur le monde, très propre par conséquent à les réunir dans un éclectisme universel.

M. Jules Simon n’entend pas tout-à-fait de la même façon les origines et les caractères de la philosophie alexandrine. En pareille matière, ses opinions ont une si grande autorité, que le droit de les contredire impose le devoir de les discuter. L’origine de tous nos dissentimens, c’est notre différente manière d’entendre la doctrine de Platon. Suivant M. Jules Simon, sur la question de la nature de Dieu, Platon s’est arrêté à un dieu mobile, à une sorte d’ame de l’univers ;