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HISTOIRE DE L’ÉCOLE D’ALEXANDRIE.

posée de la sorte : Comment une école de philosophie, fille de Platon, par sa méthode, a-t-elle abouti à un panthéisme mystique comme au dernier terme de ses spéculations ? Voici pour notre part comment nous résoudrions ce problème délicat et compliqué, soit en profitant des lumières qu’y a répandues l’exposition toujours pénétrante et profonde de M. Jules Simon, soit en proposant nos propres vues et contredisant même les siennes quand cela nous paraîtra nécessaire.

La méthode que les alexandrins empruntent à Platon, c’est la dialectique. Ce nom a perdu aujourd’hui le sens que les platoniciens lui donnaient ; mais si le nom a péri, la méthode reste immortelle. C’est le premier titre d’honneur de Socrate d’avoir le premier entrevu cette haute méthode et de l’avoir appliquée, d’une manière, timide encore il est vrai, mais déjà féconde, à ce qu’il appelait ingénieusement l’accouchement des intelligences. C’est par là que Socrate occupe une grande place dans l’histoire de la pensée et qu’il a été véritablement le maître de Platon. Platon lui-même n’est si grand que par cette méthode socratique d’où son génie tira tant de trésors, et si la théorie des idées, dont le temps a détruit les parties périssables, garde un impérissable fond de vérité qu’elle a déposé tour à tour dans le christianisme et dans la philosophie moderne, c’est qu’elle est bâtie sur le fond solide de la dialectique. Décrivons en quelques traits cette méthode si souvent défigurée.

Il est des intelligences, il est des ames à qui rien de fini et d’imparfait ne peut suffire. Tous ces êtres que l’univers offre à nos sens, qui captivent tour à tour nos mobiles désirs, qui enchantent notre imagination de leur variété et de leur éclat, trahissent par un trait commun leur irrémédiable fragilité : ils ont des limites, ils passent et s’écoulent. Comment pourraient-ils satisfaire une intelligence capable de l’éternel, rassasier une ame qui se sent faite pour sentir, pour goûter, pour posséder la plénitude du bien ?

Celui donc qui, pressé d’une inquiétude sublime, se détourne sans effort de la scène mobile de l’univers et rentre en soi-même pour s’y recueillir dans le sentiment de sa propre existence, déjà moins fragile que celle des phénomènes du dehors, pour trouver dans son ame l’empreinte plus durable et plus profonde d’une beauté plus pure, quoiqu’encore bien imparfaite ; celui qui, s’attachant ainsi à des objets de plus en plus simples, de plus en plus stables, de moins en moins sujets aux limitations de l’espace et aux vicissitudes du temps, monte sans relâche et sans faiblesse les degrés de cette échelle de perfection, sentant s’allumer ses désirs et croître ses ailes à mesure qu’il s’élève, et