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sans excuse ? Julien était un enfant de la Grèce, un fils de Platon, un Athénien passionné pour les lettres et les arts, pénétré du sentiment de la dignité de l’esprit humain. À ses yeux, les chrétiens étaient des barbares ; il ne comprenait rien à cette foi farouche, il n’y voyait qu’ignorance et folie. Plein de mépris pour la rudesse des Galiléens, il ne leur enviait que leurs vertus. Lisez sa lettre aux citoyens d’Alexandrie. Quel amour pour la grandeur des souvenirs ! quel sentiment de la gloire hellénique ! Et puis, que d’esprit, que de verve, que de fine raillerie dans ses lettres ! quelle grandeur dans les desseins ! quel ensemble dans les mesures ! quelle modération dans un homme si jeune et si passionné ! Que de choses accomplies ou tentées en si peu de temps ! quelle trace profonde laissée dans l’histoire par un empereur qui régna quelques mois !

Avec Julien périt l’école d’Alexandrie, comme puissance politique et religieuse. Le christianisme, en perdant Constantin et Constance, n’avait rien perdu de sa force, parce qu’elle était tout entière dans ses idées. L’école d’Alexandrie, dépassée par l’esprit nouveau, et s’épuisant en vain à le ramener en arrière, tomba dès que le bras qui la soutenait fut brisé. Ici commence sa dernière époque, celle où brille encore le nom de Proclus. Alexandrie redevient une école de pure philosophie, et, se rapprochant plus étroitement que jamais du platonisme, elle cherche à ressaisir par la pensée spéculative l’influence qu’elle a perdue ; mais l’esprit du siècle s’était retiré d’elle : elle s’éteint sous Justinien.

Voilà la destinée extérieure de l’école d’Alexandrie ; pour la comprendre, il faut avant tout se demander quelle est cette doctrine philosophique suscitée par Ammonius, organisée par Plotin, opposée au christianisme par Porphyre, Jamblique et Julien, et qui essaie en vain de se reconstituer et de vivre par le génie de Proclus.

Pour qui néglige, dans ce vaste système de l’école d’Alexandrie, tout ce qui n’est qu’accessoire et subordonné, pour s’attacher à l’essentiel de la doctrine, elle se laisse ramener sans effort à trois points fondamentaux : la méthode, la théorie de la Trinité, le Principe de l’émanation. Par sa méthode, Alexandrie est platonicienne ; elle est mystique par sa théorie de la Trinité ; par son principe de l’émanation, elle est panthéiste. Ce sont là les trois caractères qui la constituent. Le problème à résoudre pour l’historien, c’est donc d’éclaircir, d’expliquer et par-là même de concilier ces trois caractères ; c’est de former de la combinaison de ces différens traits un tableau fidèle où se fasse reconnaître, où revive l’école d’Alexandrie. La question pourrait être