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HISTOIRE DE L’ÉCOLE D’ALEXANDRIE.

Après s’être substituée par degrés à la religion dans le gouvernement des intelligences, après avoir enfanté avec une admirable fécondité les plus magnifiques systèmes, la philosophie à son tour avait épuisé sa vitalité. Un seul fait caractérisera sa décadence : la seule école qui fût debout au premier siècle de l’ère chrétienne, c’était celle de Pyrrhon, reconstituée par Œnésidème.

Ce fut alors que, pour le salut du monde, un esprit nouveau commença de se faire sentir et de pénétrer dans les ames. Durant les deux premiers siècles de notre ère, cet esprit se manifeste confusément encore par un certain nombre d’écoles particulières, qui bientôt disparaissent et s’éclipsent, perdues en quelque sorte dans l’éclat de deux grandes rivales, la religion chrétienne et l’école d’Alexandrie. Ici, l’esprit nouveau éclaté avec puissance, et se constitue au travers d’une lutte de trois siècles dont le résultat est le triomphe définitif et l’établissement universel du christianisme.

Cette lutte était inévitable. L’école d’Alexandrie et la religion chrétienne cherchaient l’une et l’autre à s’approprier à l’esprit nouveau, mais d’une manière différente : la première en s’associant au passé, la seconde en rompant avec lui. Du reste, leurs directions générales étaient les mêmes : mysticisme, surnaturalisme, éclectisme, fusion de l’esprit grec et de l’esprit oriental, toutes ces tendances encore vagues ou exclusives dans l’école de Philon le Juif, dans celle de Numénius, chez les néo-platoniciens, les néo-pythagoriciens, les kabbalistes, les gnostiques, nous les retrouvons développées, unies, organisées dans l’un et l’autre des deux grands systèmes contraires.

Considérée à ce point de vue, l’école d’Alexandrie a trois époques. La première et la moins éclatante, mais la plus féconde, c’est celle d’Ammonius Saccas et de Plotin. Un portefaix d’Alexandrie se fait chef d’école, et il trouve des hommes de génie pour l’écouter ; Origène, Longin, Plotin, sont ses premiers disciples. L’école se développe en silence, se discipline intérieurement, et se donne un point d’appui solide par un système. Bientôt Plotin, qui en est l’auteur, l’enseigne à Rome avec un éclat extraordinaire. C’est alors que l’école d’Alexandrie entre dans sa seconde phase. Avec Porphyre, avec Jamblique, elle devient une sorte d’église qui prétend disputer à l’église chrétienne l’empire du monde. Le christianisme monte sur le trône avec Constantin ; l’école d’Alexandrie l’en fait descendre et s’y place à son tour avec Julien. On a beaucoup déclamé contre l’empereur apostat, et sans doute il a fait la plus grande faute où pût tomber alors un homme d’état : il n’a pas compris le christianisme. Mais cette faute est-elle