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somme de 3,000 francs ; c’est une petite fortune dans son pays. Mais ne nous réjouissons pas si vite : à côté de l’esprit organisateur qui cherche à détruire le mal, veille sans cesse l’esprit de trafic et de spéculation qui s’efforce à le conserver. Il s’est formé, par suite de cette sage mesure, une ignoble industrie qui double le métier des acheteurs de reconnaissances du Mont-de-Piété : c’est celle des acheteurs de créances sur la caisse d’épargne. Comme il a été stipulé dans le contrat que la somme versée au nom du remplaçant ne pourrait être retirée avant sa sortie du service, celui-ci ne se trouve avoir, pendant sept années, entre les mains qu’une valeur présentement nulle, une lettre morte. Des gens à mine cauteleuse et pateline se chargent de la vivifier. Ces loups-cerviers, déguisés sous la peau de mouton d’un ami, circonviennent le soldat, l’obsèdent, l’entraînent au cabaret, cet antre des mauvais conseils, et là, tête à tête, lui offrent d’échanger sa créance contre de l’argent, du bon argent, visible, palpable, de l’argent dans la main. Le soldat a bon cœur ; le soldat est faible, surtout quand il a bu : il songe qu’avec cet argent il pourra mettre une croix d’or sur le cou de Jeanne, et il cède. Ces misérables paient les deux tiers (c’est rare), la moitié, le plus souvent le tiers de la créance, et moyennant un transfert à leur nom deviennent propriétaires de la somme placée à la caisse d’épargne. L’agent général, instruit de ces abus, et armé d’un article du règlement qui interdit à chacun d’avoir plus d’un livret nominal, a fait supprimer les intérêts à quelques cessionnaires sur toutes les sommes excédant le maximum autorisé. Cette mesure a déjà dégoûté quelques acheteurs de créances de leur périlleux métier ; mais on compte sur une loi, depuis deux années pendante devant la chambre des pairs, pour interdire aux militaires le transport des sommes déposées dans les caisses d’épargne, et pour couper ainsi le mal à sa racine.

L’institution a aussi voulu encourager la philanthropie, en admettant des sommes données au profit de mineurs, avec la condition que ces versemens et les intérêts qui en proviennent ne pourront être retirés avant leur majorité. Ces bienfaits sont moins rares qu’on pourrait le croire dans notre siècle d’industrie et de froide concurrence. La caisse d’épargne les voit se renouveler fréquemment, et pour que la source de cette noble libéralité ne s’arrête jamais, nous croyons utile d’en publier les résultats. À l’époque de leur mariage, M. le duc et Mme la duchesse d’Orléans eurent l’idée de consacrer une somme de 160,000 francs à des livrets de caisse d’épargne, pour être distribués dans toutes les principales villes de France. Paris a eu pour sa part