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pondit Stamply en hochant la tête ; il n’a pas la prétention de donner des exemples au monde ; ce n’est pas à lui qu’appartient la tâche de relever l’humanité : de plus humbles soins le réclament. D’ailleurs, madame, je ne comprends pas bien…

— Si vous ne comprenez pas, tout est dit, répliqua froidement Mme  de Vaubert.

Stamply avait trop bien compris. Quoique fermier de naissance et paysan d’origine, il n’était, nous le répétons, ni fin, ni rusé, ni même bien clairvoyant ; mais il avait le cœur ombrageux, et chez lui la défiance pouvait au besoin suppléer à la ruse. Non-seulement il comprit où la baronne voulait en venir, mais encore il crut entrevoir que c’était là le secret des avances qu’il avait reçues.

— Je vous entends, madame la baronne, dit-il enfin avec ce profond sentiment de tristesse qu’éprouvent les âmes tendres, lorsqu’en creusant l’affection qu’elles croyaient sincère et désintéressée, elles découvrent, sous la première couche, un abîme sans fond d’égoïsme : je crois seulement que vous faites erreur. Je n’ai pas à légitimer ma fortune, ma fortune étant légitime ; je ne la dois qu’à mon travail. Quant à Mlle  de La Seiglière, il est très vrai que je ne pense jamais sans attendrissement à cette enfant qui, m’avez-vous dit, est la vivante image de sa mère. Bien souvent j’ai été tenté de lui faire passer des secours ; je l’ai voulu, et je n’ai point osé.

— Vous auriez tort d’oublier qu’il est des infortunes qui ne sauraient accepter d’autres secours que les sympathies qu’elles inspirent, ni d’autres bienfaits que les vœux qu’on forme pour elles, répondit Mme  de Vaubert avec dignité ; mais laissez-moi vous dire, ajouta-t-elle d’un ton plus affectueux, que vous ne m’avez pas comprise. Je ne songeais qu’à votre bonheur. Je raisonnais, non pas en vue de vos devoirs, mais seulement en vue de vos félicités. Que m’est-il échappé qui vous blesse ou qui vous offense ? Le hasard me fait vous rencontrer ; votre destinée m’intéresse. Je sens que je vous suis une consolation, je vous en aime davantage. Cependant il arrive qu’un jour le monde envieux et jaloux nous sépare. Mon cœur en gémit ; le vôtre s’en alarme. Sur ces entrefaites, je me figure, follement peut-être, qu’en rappelant le marquis de La Seiglière et sa fille pour leur offrir de partager une fortune dont vous n’avez que faire, vous assurez à vos vieux ans le repos, la paix et l’honneur. Là-dessus, mon imagination s’exalte. Je vous vois entouré d’affections et d’hommages ; au lieu de se briser, notre intimité se resserre ; le monde qui vous proscrivait vous recherche ; les voix qui vous maudissaient vous bénissent ; Dieu vous a pris un fils