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caractère plus décidé, il commença de s’en alarmer sérieusement. C’est qu’en effet Mme de Vaubert n’était plus la même, et quoiqu’elle s’efforçât de dissimuler le changement qui s’opérait en elle, ce n’était pas l’ame susceptible et tendre du pauvre Stamply qui pouvait s’y tromper. Il souffrit long-temps en silence, et ce qu’il souffrit ne saurait se dire, car il avait tourné de ce côté toutes ses facultés aimantes ; il avait mis dans cette affection tout son cœur et sa vie tout entière. Long-temps le respect lui ferma la bouche ; mais un soir, ayant trouvé Mme de Vaubert plus distraite, plus réservée, plus contrainte que d’habitude, il exprima son inquiétude d’une façon indiscrète peut-être, touchante à coup sûr. Mme de Vaubert en parut touchée, mais demeura impénétrable.

— Madame, qu’y a-t-il ? je pressens quelque grand malheur.

Mme de Vaubert répondit à peine ; seulement, lorsqu’il fut près de se retirer, elle lui prit les mains et les pressa entre les siennes avec une effusion de tendresse qui ne fit qu’ajouter aux terreurs du vieillard.

Le lendemain, Stamply se promenait dans son parc, encore tout agité de la soirée de la veille, lorsqu’on lui remit un billet de la part de Mme de Vaubert. Moins flatté qu’effrayé d’un si rare honneur, il brisa le cachet d’une main émue, et lut ce qui suit à travers ses larmes :


« Vous pressentiez un grand malheur, vos pressentimens étaient justes. Si vous devez en souffrir autant que j’en souffre moi-même, c’est un grand malheur en effet. Il faut ne plus nous voir ; c’est le monde qui le veut ainsi. S’ils ne frappaient que moi, je braverais ses arrêts avec joie, mais je dois, en vue de mon fils, m’imposer des sacrifices que ne m’aurait jamais arrachés l’opinion. Comprenez quelle nécessité nous sépare, et que ce vous soit une consolation de penser que votre cœur n’en est pas plus profondément affligé que celui de votre affectionnée,

« Baronne de Vaubert. »


Stamply ne comprit d’abord qu’une chose, c’est qu’il venait de perdre le seul bonheur qu’il eût ici-bas. Puis, en relisant cette lettre, il sentit retomber sur lui toutes les malédictions et tous les outrages dont l’amitié de Mme de Vaubert avait si long-temps soulevé le poids. Il se vit replongé plus avant que jamais dans le gouffre de la solitude ; il crût perdre Bernard une seconde fois. C’était plus qu’une affection qui se brisait pour lui ; c’était une habitude. Que ferait-il désor-