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MADEMOISELLE DE LA SEIGLIÈRE.

ne songea même pas à s’en effaroucher. Il en arriva, sans efforts, à s’attendrir sur la destinée de cette jeune Hélène que Mme  de Vaubert ne se lassait pas de lui représenter comme la vivante image de sa mère. C’était la même grâce, le même charme et la même bonté. Stamply convenait qu’à ce compte Mlle  de La Seiglière devait être un ange en effet. Il avait gardé quelques préventions contre le marquis ; Mme  de Vaubert s’appliqua patiemment à étouffer ce vieux restant du levain de 93. L’adversité, disait-elle, est une rude école à laquelle on profite vite. Elle se flattait, pour sa part, d’y avoir beaucoup appris et beaucoup oublié. M. de La Seiglière, à l’entendre, était devenu, dans l’émigration, le plus parfait modèle de toutes les vertus, et ce marquis si fier s’honorerait à cette heure de serrer la main de son ancien fermier et de l’appeler son ami. Stamply répondait que, le cas échéant, ce lui serait un très grand honneur.

Des mois s’écoulèrent ainsi dans une douce intimité à laquelle Raoul ne se mêla point ; ce jeune homme était triste et recherchait la solitude. Or, tandis que ces évènemens s’accomplissaient sans bruit dans la vallée du Clain, Waterloo venait de clore la grande épopée de l’empire. Le temps pressait ; dans une lettre toute récente, le marquis de La Seiglière, convaincu plus que jamais que la chute de Napoléon allait nécessairement entraîner celle de Stamply, et que le premier acte des Bourbons, après leur rentrée définitive en France, serait de réintégrer tous les émigrés dans la propriété de leurs domaines, rappelait généreusement à sa vieille amie la promesse qu’ils avaient échangée d’unir un jour Hélène et Raoul. Mme  de Vaubert jugea prudent de pousser au dénouement de la petite comédie dont elle avait seule le secret.

Ses relations avec le fermier châtelain étaient, on peut le croire, un grand sujet d’ébahissement pour le pays. La médisance et la calomnie n’avaient point manqué à l’appel. On s’étonnait, on s’indignait de voir qu’une amie des La Seiglière frayât avec l’homme qui les avait dépossédés. Le bruit courait qu’elle visait à se faire épouser par Stamply. La noblesse criait à la trahison, et la roture au scandale. Soit qu’elle ignorât ce qui se disait, soit qu’elle ne s’en souciât pas autrement, la baronne avait jusqu’à présent poursuivi son idée, sans détourner seulement la tête pour écouter les cris de la foule, quand tout d’un coup Stamply crut remarquer des symptômes de refroidissement dans les témoignages de cette amitié qui le faisait si heureux et si fier. Il n’en ressentit d’abord qu’un sourd malaise qu’il ne s’expliqua pas ; mais, ces symptômes prenant de jour en jour un