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hauteur. En même temps, elle étudia, pour les flatter, les goûts et les manies du vieillard. Elle en vint même jusqu’à s’initier aux petits détails de son intérieur et veilla avec une sollicitude toute maternelle à ce que rien ne manquât au soin de son bien-être. Stamply ne résista pas à tant de séductions : il s’y prit comme une mouche dans du miel. Son cœur passa vite de la reconnaissance à l’affection, de l’affection à l’habitude. La meilleure partie de ses journées s’écoulait à Vaubert. Il y dînait trois fois la semaine. Le matin, il s’y arrêtait en allant visiter ses champs ; il y retournait le soir pour causer de Bernard, et des affaires du jour, qui préoccupaient vivement les esprits. Par les soirées sereines, Mme  de Vaubert lui prenait le bras, et tous deux s’allaient promener sur les bords du Clain. Qu’on tâche de se représenter l’ivresse du vieux Stamply tenant à son bras le bras d’une baronne, causant familièrement avec elle, et, le long de ces rives où on l’avait parfois salué à coups de pierres, prenant sa part des coups de chapeaux qui s’adressaient à sa compagne ? Il est très vrai qu’un reflet de la considération qui entourait la noble dame avait rejailli jusque sur lui. Si ses domestiques ne l’en volaient pas moins, ils l’en respectaient davantage. Bref, il faudrait rajeunir la comparaison surannée de l’oasis dans le désert pour peindre en peu de mots ce que fut dans la vie désolée de cet homme l’apparition enchantée de la baronne de Vaubert. Sa fin d’automne en reçut comme un doux éclat. Sa santé se raffermit, son humeur s’égaya, son caractère aigri par le chagrin, retrouva sa bonté native. Il eut, comme on dit, son été de la Saint-Martin ; mais le plus grand bienfait qu’il retira de ces relations, fut de recouvrer l’estime de lui-même et de se sentir réhabilité à ses propres yeux. Sa conscience troublée s’apaisa, et, fort d’une amitié si belle, il releva la tête et porta gaiement sa fortune.

Bientôt à ces salutaires influences Mme  de Vaubert en mêla d’autres, plus lentes et plus mystérieuses, que Stamply subit sans chercher à s’en rendre compte. Après s’être emparé de la vie de cet homme, elle s’empara de son esprit, qu’elle pétrit à son gré et façonna comme un bloc de cire. Elle s’étudia et réussit à effacer en lui jusqu’au dernier vestige des idées révolutionnaires. Elle sut, à force de subtilités, le réconcilier avec le passé qui l’avait opprimé et le brouiller avec les principes qui l’avaient affranchi. Elle le ramena, à l’insu de lui-même, au point d’où il était parti, et lui fit reprendre, sans qu’il s’en doutât, la carapace de serf et de vassal sous laquelle ses pères avaient vécu. En même temps, le nom du marquis de La Seiglière et le nom de sa fille revenaient dans tous ses discours, mais avec tant de réserve, que Stamply