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MADEMOISELLE DE LA SEIGLIÈRE.

délicates n’auront point de peine à comprendre. Comme pour ajouter à l’embarras de son hôte, la baronne raconta les déceptions de son retour, et comment, en place de son château et de ses domaines, elle n’avait retrouvé qu’un pigeonnier et quelques méchans morceaux de terre ; mais elle le fit avec tant de grâce et de gaieté, que Stamply, quoique susceptible et défiant, ne put en prendre aucun ombrage, et qu’au contraire il se sentit délivré d’un grand poids en voyant de quelle façon Mme  de Vaubert s’accommodait à sa fortune.

— Je vous garde à dîner, lui dit-elle ; mon fils est allé passer la journée chez un de nos amis, et ne rentrera que ce soir ; vous me tiendrez compagnie. La solitude est triste à notre âge. Que voulez-vous ? ajouta-t-elle gaîment, en renouant le fil de la conversation brisée ; chacun son tour, comme dit le proverbe. On assure que les révolutions ont leur bon côté ; nous avons payé pour le croire. Nous ne nous plaignons pas. Plût à Dieu seulement, ainsi que le répétait souvent ma pauvre et bien aimée marquise, plût à Dieu, monsieur, que tous ceux qui ont profité de nos désastres fussent d’aussi honnêtes gens que vous ! La résignation nous serait encore plus facile.

Dîner en tête-à-tête avec la baronne de Vaubert ne fut pas seulement pour Stamply le comble de l’honneur ; ce fut aussi la plus douce joie qu’il eût goûtée depuis bien long-temps. C’est surtout à l’heure des repas que l’isolement se fait cruellement sentir. C’était l’heure de la journée que Stamply redoutait le plus ; lorsqu’il lui fallait s’asseoir à table devant la place vide de Bernard, sa tristesse redoublait, et souvent il lui arrivait, comme au roi de Thulé, de boire ses larmes dans son verre. Ce fut donc pour lui comme une fête improvisée. Le festin n’était point somptueux ; mais Mme  de Vaubert suppléa le luxe du service par le charme de son esprit. Elle entoura son convive de mille petites attentions délicates, le flatta, le choya et le gâta comme un enfant, sans avoir l’air de remarquer les gaucheries et les énormités qu’il disait et faisait en matière d’étiquette et de savoir-vivre. Il y eut un instant où le vieillard tourna vers elle un regard dont nous n’essaierons pas de rendre l’expression : rappelez-vous ce beau regard si doux, si tendre, si reconnaissant que tourne le chien de chasse vers son maître qui le caresse. Le bonhomme put croire qu’il n’était plus seul au monde et qu’il avait une famille.

À partir de ce jour, il s’établit des rapports fréquens entre les deux châteaux. Mme  de Vaubert, à force de prières et de remontrances, amena peu à peu son fils à tolérer la présence de Stamply et à l’accueillir, sinon avec bienveillance, du moins sans trop de morgue et de