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plus aimable sourire ; vous nous faites, monsieur, une réception royale.

Stamply s’inclina, se troubla, balbutia ; puis, apercevant les deux garçons de ferme, qui, après avoir déposé les plateaux sur le marbre d’une console, s’étaient assis chacun dans un fauteuil et s’y prélassaient sans façon, il les prit par les épaules et les poussa tous deux hors du salon.

— Savez-vous, monsieur, dit la baronne, qui n’avait pu s’empêcher de rire à cette petite scène, savez-vous que vous mériteriez d’être nommé conservateur-général des châteaux de France ? Celui-ci n’a rien perdu de son ancienne splendeur ; je crois même que vous y avez ajouté un nouvel éclat. D’autre part, on prétend que les domaines de La Seiglière ont doublé de valeur sous votre administration. Vous êtes, à ce compte, le plus riche propriétaire du pays.

— Hélas ! madame la baronne, répondit tristement le vieillard, Dieu et les hommes me l’ont fait payer bien cher, cette prospérité qu’on m’envie ! Dieu m’a pris ma femme et mon enfant ; les hommes m’ont chargé d’outrages. Le vieux Job était moins malheureux sur son fumier que je ne le suis au sein de la richesse. Vous avez un fils, madame ; consultez votre joie, et vous comprendrez mes douleurs.

— Je les comprends, monsieur ; votre fils, dit-on, était un héros.

— Ah ! madame, il était ma vie ! s’écria le vieillard en étouffant ses pleurs et ses sanglots.

— Les desseins de Dieu sont impénétrables, dit Mme de Vaubert avec mélancolie ; quant au jugement des hommes, je crois, monsieur, que vous auriez tort de vous en trop préoccuper. On vous a chargé d’outrages, dites-vous ? Je l’ignorais ; vous me l’avez appris. Qu’importe l’opinion des sots ? vous avez l’estime des honnêtes gens.

À ces mots, Stamply secoua la tête d’un air chagrin, en signe de dénégation.

— Vous vous calomniez, monsieur, reprit vivement Mme de Vaubert. Pensez-vous, par exemple, que je serais ici, si je ne vous estimais pas ? Je suis, ce me semble, assez intéressée dans la question pour ne pas être suspecte de partialité en votre faveur. Amie des La Seiglière, j’ai, quinze ans durant, partagé leur exil ; comme eux, j’ai vu mes biens séquestrés et vendus par la république. La république nous a dépouillés ; elle a disposé de ce qui ne lui appartenait pas : que ce lui soit une honte éternelle ! Mais vous, acquéreur de bonne foi, qui avez acheté à beaux deniers comptant, qui vous blâme ? qui vous accuse ?