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étaient là, lorsqu’un soir tout sembla devoir prendre bientôt une face nouvelle.

Assise auprès d’une croisée ouverte, Mme  de Vaubert paraissait plongée dans une méditation profonde. Ce n’étaient ni les harmonies ni les images d’un beau soir d’été qui la tenaient ainsi rêveuse et recueillie. Elle regardait avec un sentiment de tristesse et d’envie le château de La Seiglière, dont les derniers rayons du soleil embrasaient les fenêtres, et qui resplendissait dans toute sa gloire, avec ses festons, ses arabesques, ses clochetons et ses campanilles, tandis que les ombrages touffus du parc ondulaient à ses pieds au souffle caressant des brises. Elle voyait en même temps les riches fermes groupées à l’entour, et, dans l’amertume de son cœur, elle songeait que ce château, ce parc et ces terres étaient la propriété d’un rustre et d’un manant. Raoul la surprit au milieu de ces réflexions. Il prit place auprès de sa mère et demeura silencieux, comme elle, à regarder d’un air affaissé l’étendue de paysage qu’encadrait la croisée ouverte. Ce jeune homme était miné depuis long-temps par une sombre mélancolie. N’ayant point goût à l’étude qui seule aurait pu charmer sa pauvreté, il consumait son énergie en regrets stériles, en désirs impuissans. Ce soir-là, dans une promenade solitaire à travers champs, il avait rencontré une troupe joyeuse de jeunes cavaliers qui s’en retournaient à la ville, en grand équipage de chasse, au bruit des fanfares, escortés de leurs meutes et de leurs piqueurs. Il n’avait, lui, ni piqueurs, ni meute, ni pur sang limousin sur lequel il pût promener ses ennuis, et il était rentré au logis plus découragé et plus sombre que d’habitude. Il s’accouda sur le dos de sa chaise, appuya son front sur sa main, et Mme  de Vaubert vit couler deux larmes sur les joues amaigries de son fils.

— Mon fils ! mon enfant ! mon Raoul ! dit-elle en l’attirant sur son sein.

— Ah ! ma mère ! s’écria le jeune homme avec amertume, pourquoi m’avoir trompé ? pourquoi m’avoir bercé d’un fol et vain espoir ? pourquoi m’avoir nourri, dès l’âge le plus tendre, de rêves insensés ? pourquoi m’avoir fait entrevoir, du sein de la pauvreté, les rives enchantées où je devais n’aborder jamais ? Que ne m’avez-vous élevé dans ; l’amour de la médiocrité ? que ne vous êtes-vous étudiée à borner mes désirs et mes ambitions ? que ne m’avez-vous enseigné de bonne heure l’humilité et la résignation qui convenaient à notre destinée ? Cela, vous eût été bien facile !

À ces reproches mérités, Mme  de Vaubert ne répondait qu’en bais-