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la mort de son fils, qui avait été tout son univers, Stamply jeta çà et là un regard désolé, ne rencontrant ni une main amie, ni un cœur affectueux, ni un visage bienveillant, le pauvre homme finit par s’apercevoir qu’il y avait autour de lui comme un cordon sanitaire. Ses paysans et ses fermiers le haïssaient, parce qu’il était sorti de leurs rangs ; les gentillâtres ses voisins se détournaient en le voyant et ne lui rendaient pas son salut. Enfin, sur les derniers temps, les petits drôles l’insultaient et lui lançaient des pierres quand il traversait le village. — Tiens, se disaient-ils entre eux, voici ce vieux gueux de Stamply qui a fait fortune en dépouillant ses maîtres ! — Il passait, le front baissé, les yeux pleins de larmes. Son esprit qui, sous le double fardeau du chagrin et de l’âge, avait déjà beaucoup baissé, acheva de s’affaisser sous le sentiment du mépris public ; sa conscience, qui n’avait jamais été bien paisible, recommença de se troubler. Bref, dans son château, au milieu de ses vastes domaines, il vécut seul, misérable et proscrit.


II.


Tout à l’heure je vous montrais du doigt le castel de Vaubert, à moitié caché par un bouquet de chênes et regardant d’un air mélancolique la façade orgueilleuse du château qui domine les deux rives du Clain. Le castel de Vaubert n’a pas toujours eu l’humble aspect que nous lui voyons aujourd’hui. Avant que la révolution eût passé par là, c’était un vaste château avec tours et bastions, pont-levis et fossés, créneaux et plate-formes, vraie place forte qui écrasait de sa masse imposante l’architecture élégante et fleurie de son svelte et gracieux confrère. Les domaines qui se pressaient à l’entour et constituaient de temps immémorial la baronnie de Vaubert, ne le cédaient en rien, ni pour l’étendue, ni pour la richesse, aux propriétés des La Seiglière. Qui disait La Seiglière et Vaubert disait les maîtres du pays. À part quelques rivalités inévitables entre voisins de si haut bord, les deux maisons avaient toujours vécu dans une intimité à peu près parfaite, que dut resserrer, sur les derniers temps, l’appréhension du danger commun. Toutes deux émigrèrent le même jour, suivirent la même route et choisirent le même coin de terre étrangère pour y vivre plus rapprochées dans l’infortune qu’elles ne l’avaient été dans la prospérité ; car, réunissant ce qu’elles avaient pu réaliser de leur avoir, elles s’établirent sous le même toit, en communauté de biens, d’espérances et de regrets : plus de regrets que d’espérances, plus d’espérances que