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pas le mot thura, porte, et n’entendait que le mot italien porta, en revanche j’ai eu le plaisir de voir affiché à Éleusis un avertissement au sujet de certains chevaux égarés qui s’adressait évidemment à toutes les classes de la population, et dans lequel, au lieu du mot vulgaire alogon (cheval), on lisait le mot classique hippos.

Avant d’avoir recouvré leur indépendance, les Grecs n’osaient porter leur vrai nom, leur nom élégant et harmonieux d’Hellènes, ils le réservaient pour leurs aïeux qu’ils croyaient avoir été des géans hauts comme les arbres des forêts, car le vague souvenir de la grandeur morale du peuple ancien s’était traduit grossièrement en une idée de grandeur matérielle. Eux-mêmes s’appelaient, non pas Hellènes, mais enfans des Hellènes. Depuis qu’ils sont libres, ils ont senti qu’ils avaient le droit de reprendre leur nom Tout le monde connaît le début du chant de Riga : Allons, enfans des Hellènes… Riga lui-même ne donnait pas le nom d’Hellènes à ceux qu’il appelait à la liberté, mais qui n’étaient pas encore libres.

La guerre de l’indépendance a renouvelé le passé de la Grèce, les scènes de la vie homérique sont, redevenues les scènes de la vie journalière. Les chefs sont descendus de la montagne la chevelure flottante, portant leurs belles knémides : on s’est trouvé en pleine Iliade. On n’a vu que combats singuliers précédés de défis et d’injures, querelles pour le butin, luttes terribles pour enlever le corps d’un brave ou dépouiller un ennemi de ses armes. Du reste, c’était le même genre de guerre Les Grecs comme les Turcs combattaient toujours derrière un abri, et, quelle que fût leur bravoure, ne s’exposaient pas volontiers à découvert. Pâris aussi, quand il dirige sa flèche contre le fils de Tydée, se place derrière une stèle élevée sur un tombeau, comme un palicare aurait ajusté sa carabine derrière une pierre funèbre dans un cimetière turc. Cependant des chanteurs, des Homères inconnus, mais inspirés, célébraient ces faits héroïques dans la langue de leur vieil aïeul, tandis que les jeunes patriotes des villes répétaient le chant de Riga, dont le début célèbre : Allons, enfans des Hellènes ! est emprunté aux Perses d’Eschyle[1].

Les héros de la Grèce moderne ont souvent offert des traits d’une ressemblance glorieuse avec les héros de la poésie antique. Par un hasard singulier, c’est un Ulysse (Odysseus), qui, à beaucoup d’égards, rappelait Achille. L’Achille moderne aux passions terribles, à la colère fatale, blessé dans son orgueil, se sépara des autres chefs, et se tint

  1. Ὧ παῖδες Ἑλλήνων, ἴτε, v. 402.