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MADEMOISELLE DE LA SEIGLIÈRE.

jeune ange. La séparation ne s’eifectua pas sans déchiremens. Tel que nous le voyons, Bernard était l’amour, l’orgueil et la joie de sa mère. En le voyant partir, la bonne femme sentit son cœur près de se briser, et lorsqu’à l’heure des adieux elle le pressa dans ses bras, elle eut comme un pressentiment qu’elle ne le reverrait plus et qu’elle l’embrassait pour la dernière fois.

C’est qu’en effet la pauvre mère ne devait plus revoir son enfant. Sa santé s’était sensiblement altérée. Habituée aux travaux de la ferme, l’oisiveté la consumait. Le jour, elle errait, comme une ame en peine, dans ses appartemens ; la nuit, quand elle parvenait à s’endormir, elle rêvait qu’elle voyait la marquise de La Seiglière demandant l’aumône à la porte de son château. Il n’y avait que Bernard qui jetât autour d’elle un peu de mouvement, de bruit et de gaieté. Lorsque la maison ne retentit plus des éclats de la voix joyeuse et que la fermière n’eut plus là, sous la main, son petit Bernard pour l’étourdir et pour la distraire, elle se sentit prise d’une sombre mélancolie, et ne tarda pas à dépérir. Son mari fut long-temps à s’en apercevoir. Il avait conservé ses habitudes de travail et d’activité. Il restait rarement au gîte, était sans cesse par monts et par vaux, visitait ses domaines, avait l’œil à tout, et se donnait parfois la satisfaction de tirer quelques lièvres et quelques perdreaux sur ces terres où ses aïeux avaient gardé le gibier seigneurial. Il finit pourtant par remarquer l’état languissant de l’humble et triste châtelaine.

— Qu’as-tu ? lui disait-il parfois. N’es-tu pas une heureuse femme ? Que te faut-il ? que te manque-t-il ? Parle enfin, que désires-tu ?

— Hélas ! répondait-elle alors, il me manque notre modeste aisance d’autrefois. Je voudrais, comme autrefois, traire nos vaches et battre notre beurre ; je voudrais faire la soupe pour nos bergers et nos garçons de ferme ; je voudrais revoir mon petit Bernard ; je voudrais apporter ici chaque matin nos œufs, notre crème et notre lait fumant. Tu te souviens, Stamply, comme Mme  la marquise l’aimait, notre crème ! Qui sait, pauvre chère ame, si elle en a d’aussi bonne à présent ?


— Bah ! bah ! répondait Stamply, la crème est bonne partout. Sois donc sûre que Mme  la marquise ne manque de rien. Le marquis n’est point parti les mains vides, et je jurerais qu’il a dans ses tiroirs plus de bons louis d’or que nous n’avons, nous autres, de méchans écus de six livres. S’il n’a pas emporté dans son portefeuille son château, son parc et ses terres, nous n’y pouvons rien ; ce n’est pas à nous qu’on doit s’en prendre. Il faut se faire une raison. Quant à ton petit Ber-