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fils n’en souffre pas un jour ; c’est notre devoir de l’élever en vue de la position à laquelle notre fortune lui permettra de prétendre plus tard. Seras-tu bien à plaindre, quand tu verras ce petit drôle de Bernard, l’épée au côté, avec deux épaulettes à grains d’or ? Et toi-même, je voudrais bien savoir, en fin de compte, pourquoi tu ne deviendrais pas, comme Mme  la marquise, la providence de ces campagnes et l’ornement de ce château.

— Pour n’avoir pas grandi dans un palais, notre fils n’en vaudra que mieux, et Mme  la marquise, en abandonnant sa demeure, n’y a pas laissé le secret de sa grâce et de sa beauté, répliqua la bonne femme en branlant la tête. Vois-tu, Stamply, ces gens-là avaient quelque chose qui nous manquera toujours, à nous autres ; on peut bien leur prendre leurs domaines, mais ce quelque chose-là, on ne le leur prendra jamais.

— Eh bien ! nous nous en passerons ; qu’ils le gardent, et grand bien leur fasse ! Toujours est-il que nous sommes chez nous, et nous y resterons.

Ce qui fut dit fut fait. On touchait alors au printemps ; c’était le premier du siècle. Le petit Bernard avait huit ans au plus ; c’était, dans toute l’acception du mot, un franc polisson qui possédait à un degré éminent tous les agrémens de son âge, bruyant, mutin, tapageur, indisciplinable, s’attaquant à tous les drôles du village, tour à tour battant et battu, ne rentrant jamais au logis qu’avec une veste en lambeaux ou quelque meurtrissure au visage. Stamply commença par donner un précepteur à cet aimable enfant ; puis, se reposant sur un cuistre du soin de lui former un homme, il se disposa à jouir paisiblement et sans ostentation de la position qu’il s’était faite par le concours simultané de ses labeurs et des évènemens. Malheureusement il était écrit là-haut que sa vie ne devait plus être qu’une longue suite, rarement interrompue, de déboires, de tribulations et d’épouvantables douleurs.

D’abord le jeune Stamply se montra on ne peut plus rebelle aux bienfaits de l’éducation : non qu’il manquât d’intelligence et d’aptitude, mais c’était une nature indomptable chez laquelle les instincts turbulens étouffaient ou contrariaient tous les autres. Il découragea successivement la patience de trois précepteurs qui, de guerre lasse, lâchèrent la partie après y avoir perdu leur latin. Découragé lui-même, le père Stamply se décida à placer son fils dans un des lycées de Paris, espérant que l’éloignement, le pain sec, les pensums et le régime militaire qui gouvernait alors les collèges, viendraient à bout de ce