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grec ancien ; quelquefois il peut offrir une explication inattendue de quelques passages obscurs[1], et même épargner à de savans traducteurs quelques contre-sens[2]. Enfin, en parlant le grec moderne et en l’entendant parler, on acquerra de la langue d’Homère et de Platon un sentiment pratique et, pour ainsi dire, une intelligence vivante que rien ne saurait remplacer. Du reste, le grec moderne tend chaque jour davantage à se rapprocher du grec ancien, et dans quelques années le voyageur jouira presque entièrement du plaisir d’entendre résonner à ses oreilles le langage qu’on parlait à Athènes il y a deux mille ans. Jamais, jusqu’à ce jour, un peuple n’a essayé de refaire sa langue, de remonter vers l’idiome antique de ses pères ; c’est un spectacle qu’il était réservé à la Grèce contemporaine de donner. Cette tentative inusitée est d’autant plus intéressante, qu’elle est dictée aux Grecs par le sentiment et l’orgueil bien permis de leur nationalité glorieuse. Pour eux, la patrie, c’est le passé et il est naturel qu’ils y cherchent les titres de leur indépendance et la garantie de leur avenir. On aime à les voir rendre à leurs villes affranchies les noms qu’elles portèrent autrefois ; ils veulent effacer les souvenirs de la servitude et ressaisir les traditions de la gloire et de la liberté. Ces noms officiels sont acceptées par le peuple. Il en est de même pour la langue ; non-seulement les savans s’empressent de suivre les pas de l’illustre Coray, qui, au temps de la captivité, préparait par la régénération de l’idiome populaire la régénération de l’esprit national ; non seulement les écrivains cultivés reviennent de plus en plus aux formes de la langue antique, à tel point qu’on peut lire quelquefois des pages entières écrites hier sans s’apercevoir qu’on lit du grec moderne ; mais chaque jour les habitudes du grec ancien rentrent insensiblement dans l’usage universel.

Chez un peuple aussi plaideur que le peuple grec, on est bien sûr que les lois sont comprises par tous, et les lois ont été rédigées dans un idiome fort différent de ce qu’était le grec vulgaire avant la révolution. Plusieurs expressions usuelles sont remplacées par les expressions antiques ; celles-ci, au moins, commencent à être entendues, et si j’ai eu le chagrin de trouver à Delphes un Grec qui ne comprenait

  1. Le sens du mot nomades, dans Sophocle, OEdipe à Colonne, v. 719, est expliqué par le nom de nomai, que les paysans donnent encore aux conduites d’eau qui reçoivent l’eau du Céphise. Voyez le Voyage de Stephani, p. 101.
  2. M. Artaud, dans les Chevaliers, v. 120, a traduit potérion par du vin. S’il avait eu l’occasion de demander un verre dans une auberge de Grèce, il aurait appris qu’un verre s’appelait potiri. Potérion, dans Aristophane, veut dire une coupe.