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Fera-t-on librement en son absence ce qu’on eût été forcé de faire devant lui ? L’avenir décidera cette question. Quoi qu’il en soit, M. Guizot nous permettra de considérer comme un heureux hasard que la question de Taïti soit venue en France la veille de la clôture de la session, au lieu du lendemain. Qui sait ? sans les paroles de M. Charles Dupin, de M. Molé et de M. Billault, le Moniteur nous aurait déjà peut-être annoncé le rappel de M. d’Aubigny.

À côté de cette grave affaire de Taïti, la plupart des autres questions débattues entre la France et l’Angleterre ont perdu momentanément leur importance. Les explications données par lord Aberdeen sur l’affaire du Maltais de Tunis ont passé inaperçues. Il résulte cependant des paroles assez aigres de lord Aberdeen qu’il a été sur le point de demander à M. Guizot le désaveu de notre consul à Tunis. C’eût été l’occasion d’un nouveau conflit. Le coupable, jugé par un tribunal de Tunis, malgré l’intervention de notre consul, a subi sa condamnation. L’exécution ayant eu lieu, lord Aberdeen déclare qu’il s’est contenté d’adresser à notre gouvernement des représentations énergiques. Lord Beaumont eût voulu une réparation.

La question du droit de visite a été encore agitée. M. Guizot s’est prononcé d’une manière assez explicite à la chambre des pairs. Son langage, rapproché des circonstances nouvelles, qui ne paraissent pas de nature à diminuer ses embarras dans cette question, mérite d’être remarqué. Il déclare qu’il a pris au sérieux le vœu national, et qu’il s’efforce de le faire prévaloir ; il agit, dit-il, devant le cabinet anglais comme il a parlé dans les chambres. Les négociations sont ouvertes ; il espère qu’elles auront atteint un résultat à l’ouverture de la session prochaine. Pour justifier cette espérance, M. le ministre des affaires étrangères a parlé des instructions que le gouvernement anglais vient d’adresser à ses croiseurs. Ces instructions sont sages ; mais l’Angleterre, en les publiant, n’a rien fait pour alléger le fardeau de M. Guizot. La mission qu’il a reçue des chambres n’est pas de réclamer des améliorations réglementaires dans l’exercice du droit de visite ; il a pris l’engagement d’en réclamer la suppression. Sur ce point, il n’a rien obtenu. L’opinion anglaise lui oppose toujours une résistance énergique. Son langage n’a pas varié depuis trois ans. C’est toujours la même manie de nous supposer des répugnances pour l’abolition de la traite, et de nous croire à la merci des passions coloniales. L’ambition maritime et commerciale, mal déguisée sous de vains prétextes de philanthropie, maintient ses exigences. L’orgueil britannique ne se dément pas. Récemment, un journal anglais, parlant des instructions données aux croiseurs, lesquelles ont tout simplement pour but de leur commander d’être polis en visitant les navires, déclarait que l’Angleterre ne peut pousser plus loin l’abandon de toute prétention à la suprématie maritime. Quelle condescendance en effet, et quel effort d’humilité ! Les croiseurs anglais consentiront à changer leurs façons arbitraires pour des manières polies et mesurées : voilà ce qu’on appelle en Angleterre une concession