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certain découragement. Il trahit ses inquiétudes secrètes par des mouvemens de dépit contre l’occupation de ces petites îles, d’un intérêt si méprisable à côté de la grandeur des débats qu’elles ont suscités. M. Guizot, sur ce point, ne peut accuser que lui seul. C’est chez lui qu’est née, à défaut de combinaisons plus glorieuses, l’idée bizarre de planter le drapeau de la France sur ces îlots lointains, dédaignés par l’avide Angleterre. Aujourd’hui même, après les tristes résultats de l’occupation de Taïti, on nous annonce que le pavillon français flotte sur les îles de Gambier. Demain, on nous apprendra l’occupation de quelque rocher désert, ignoré des navigateurs, dans les mers de la Chine. Voilà les conquêtes du cabinet. Cet établissement stérile de Taïti n’avait-il pas été critiqué dès le début par les esprits les plus sages ? N’a-t-on pas montré la base fragile sur laquelle il reposait ? N’a-t-on pas dit que le mode d’occupation institué sous le nom de protectorat serait insuffisant pour maintenir l’ordre dans une société sauvage, où la force exerce plus d’empire que les lois ? N’a-t-on pas vivement blâmé l’institution de cette autorité indéfinie, privée des moyens nécessaires pour résister à la violence, et destinée par la nature même des choses à renier son principe, dès que son existence serait menacée ? M. Guizot était prévenu. Il a méprisé les avertissemens qu’on lui donnait. Aujourd’hui, toutes les prédictions faites sur l’établissement de Taïti se réalisent : Le conflit élevé entre la reine Pomaré et les autorités françaises avait déjà condamné le système du protectorat : la guerre allumée par le religionnaire Pritchard, le sang de nos soldats massacrés dans des embuscades, la conspiration flagrante des missionnaires et des résidens étrangers, les prétentions annoncées par le cabinet anglais, le soin de notre sécurité et de notre dignité, rendent désormais le protectorat impossible. Ou il faut trouver le moyen de se retirer de Taïti avec honneur, ou il faut prendre la souveraineté.

Il est triste de voir, au milieu de circonstances si graves, les singulières ressources que M. Guizot emploie pour raffermir sa fortune ébranlée. Lisez les feuilles anglaises : vous aurez le secret de ses combinaisons actuelles. Vous verrez où il cherche son point d’appui. La presse anglaise, pleine d’outrages contre la France, ne tarit pas d’éloges sur M. Guizot. De sir Robert Peel ou de M. Guizot, quel est le plus grand ministre ? On s’évertue tous les jours de l’autre côté du détroit à résoudre cet important problème. M. Guizot serait le collègue de M. Peel qu’il ne serait pas mieux traité. Son éloquence, sa sagesse, sa gloire, sont un texte inépuisable de louanges. On ne devrait pas oublier son patriotisme. Si cependant toutes ces louanges venaient d’une source que M. Guizot pût avouer, si l’Angleterre en prenait seule la responsabilité, nous ne pourrions faire qu’une chose : plaindre M. Guizot d’être moins admiré chez nous que chez nos voisins ; mais qui peut ignorer maintenant l’origine de ces apologies fastueuses que deux feuilles anglaises particulièrement insèrent dans leurs colonnes avec une complaisance si méritoire ? C’est une chose sue de tout le monde. Depuis