Page:Revue des Deux Mondes - 1844 - tome 7.djvu/670

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

fait garder à vue M. Pritchard jusqu’au retour du gouverneur ? Du reste, cette pensée d’un désaveu partiel semble appartenir exclusivement à M. Guizot ou à ses journaux. Le ministère anglais ne paraît pas goûter cette demi-humiliation. Les feuilles de Londres qui ont distingué entre M. Bruat et M. d’Aubigny n’ont pas pris, dit-on, l’idée de cet expédient en Angleterre. Presque toute la presse anglaise demande que les deux officiers français soient désavoués.

Faut-il parler de ces révélations sinistres que les affidés de M. Guizot font tout bas à l’oreille ? Il s’agirait, suivant eux, d’une insulte au pavillon anglais ! Voilà des gens bien informés ! Comment l’Angleterre ignore-t-elle ce qu’ils savent, et, si elle en est instruite, pourquoi garde-t-elle le silence sur un pareil fait ? Pourquoi M. Guizot, de son côté, hésiterait-il à le révéler, ne fût-ce que pour simplifier sa situation ? Ces fausses rumeurs nous ont bien l’air d’être inventées pour éprouver les esprits, pour les troubler, et les préparer à l’idée d’une concession.

L’avenir nous dira quels sont les faits communiqués par lord Cowley à M. Guizot. S’ils présentent un caractère nouveau, nous les apprécierons ; s’ils s’accordent avec les détails publiés dans les feuilles anglaises et connus aujourd’hui de tout le monde, nous n’hésitons pas à déclarer, dès à présent, que les exigences de l’Angleterre n’ont rien de fondé. Lui accorder, sur de pareils motifs, la réparation qu’elle demande, ce serait une faiblesse sans excuse. Désavouer nos officiers lorsqu’ils ont fait leur devoir, lorsqu’ils ont montré de la prudence et de la fermeté, lorsqu’ils ont pris les mesures nécessaires pour épargner le sang de la France, lorsque, soutenus par une poignée d’hommes contre une population fanatique, ils ont su, à trois mille lieues de nous, garder fidèlement le poste confié à leur bravoure ; les rappeler, les frapper d’une disgrace au moins apparente, lorsque leur conduite mériterait au contraire l’approbation du gouvernement, ce serait un acte déplorable. Rapproché du désaveu qui a frappé l’amiral Dupetit-Thouars, ce nouveau coup porté à notre marine aurait des conséquences funestes. L’idée s’accréditerait de plus en plus que le bras de la France ne s’étend pas au-delà des mers pour soutenir ceux qui la servent avec honneur, que tout dévouement est méconnu, et que tout acte de vigueur est menacé d’un désaveu, s’il porte ombrage à l’Angleterre. Cette pensée jetterait l’inquiétude et le découragement chez nos marins. Le moment serait bien choisi de répandre de pareils sentimens sur notre flotte, lorsque nous avons une escadre qui croise sur les côtes du Maroc, en présence des vaisseaux de l’Angleterre !

On ne peut se dissimuler toutefois que la position de M. Guizot est délicate. Les embarras lui viennent de la conduite qu’il a tenue jusqu’ici vis-à-vis du cabinet anglais. Il est placé entre une concession humiliante ou un énergique démenti brusquement donné à toute sa politique. L’alternative est cruelle ; aussi M. Guizot paraît en proie à de vives perplexités. Il a perdu, dit-on, sa confiance accoutumée. On cite de lui des paroles empreintes d’un