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Très souvent le mot antique s’est conservé sous la forme du diminutif. Ce qui est arrivé là pour le grec a eu lieu également dans le passage du latin aux langues qui en proviennent, et particulièrement au français. Oreille vient d’auricula, oiseau (ancien français., oisel) d’avicellus, mots à forme diminutive qui, dans la basse latinité, paraissent avoir été d’un usage plus fréquent que le simple auris, avis. Parfois même une expression usitée dans la langue moderne ne se trouve à aucune époque connue dans le grec ancien, et cependant porte la marque d’une parenté évidente avec des mots qui firent de tout temps partie de la langue antique. Ainsi l’eau, en grec moderne, s’appelle nero, ce qui ne ressemble nullement au nom de l’eau en grec ancien, udôr ; mais nero rappelle Nereide et les Nereides, qui sont des divinités aquatiques. La racine de leur nom semble donc avoir péri à une époque très reculée dans l’ancienne langue, et, chose singulière, avoir subsisté jusqu’à nos jours dans nero, nom de l’eau en grec moderne[1].

Ces faits, quelque singuliers qu’ils soient, peuvent se comprendre à l’aide de faits analogues et s’expliquer par la nature des choses. Le langage que parle le peuple change beaucoup moins que le langage écrit par les savans ou les poètes. Telle signification anciennement perdue, tel mot même sorti de la langue littéraire depuis des siècles, peuvent avoir subsisté long-temps après dans l’usage populaire ; et comme le grec aujourd’hui parlé est né de cet usage, il a pu conserver et recueillir les sens et les mots négligés ou rejetés par les auteurs. Il en a été ainsi partout, partout le langage vulgaire a conservé des élémens très anciens qui ont disparu dans le langage cultivé. Le patois que parlent les paysans normands et picards est beaucoup plus semblable au français de Villehardoin ou de Joinville que le français de l’Académie ; bien des mots que la langue française a exclus en se polissant sont restés dans les dialectes provinciaux. Il serait curieux de chercher si, dans les cantons écartés de la Grèce, on ne trouverait pas des formes très anciennes du langage grec ; on pourrait presque l’affirmer d’avance[2].

Le grec moderne peut donc servir à faire connaître plus à fond le

  1. Ce qui achève de rendre vraisemblable l’existence d’un radical grec de Néréus, Néréides, perdu dès le temps d’Homère, et qui reparaît dans nero, c’est que le mot sanscrit nara veut dire eau.
  2. De la même cause dérive ce fait très curieux, que, de tous les dialectes de la Grèce antique, celui qui domine dans la prononciation actuelle, c’est le plus ancien de tous, le dialecte œolien.