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nationales se sont ranimées : nous voulons croire qu’elles s’apaiseront. Le révérend M. Pritchard, après avoir allumé la guerre dans Taïti, n’aura sans doute pas la satisfaction de voir l’Europe s’embraser à cause de lui. Cependant cette malheureuse affaire, en supposant même qu’elle se termine bientôt par les négociations, ce qui nous paraît douteux, laissera en France un souvenir pénible qui s’effacera difficilement. Nous voulons parler de l’impression causée par les paroles de sir Robert Peel dans le parlement anglais.

Sir Robert Peel n’est pas un homme qui se laisse entraîner par la passion. C’est un orateur froid qui calcule toutes ses paroles. S’il a été prompt et véhément, c’est qu’il a pensé que cela lui serait utile. Il a compté sur la forme insolite de ses réclamations pour intimider notre cabinet. De là est venue l’émotion que la France a ressentie. Voilà pour elle le fruit de la politique suivie depuis quatre ans à l’égard de l’Angleterre. Un différend s’élève à deux mille lieues entre les deux peuples : à la première nouvelle qui en arrive à Londres, le ministre anglais, sans examiner les faits, sans discuter, annonce en plein parlement qu’il demande une ample réparation à la France. Il envoie du haut de la tribune anglaise une sommation à notre gouvernement. Voilà comme l’Angleterre en use avec nous ! Tant de soins, tant de sacrifices, tant d’avances faites à la tribune et dans les discours du trône, ont abouti à une alliance bâtarde, où l’égalité des prétentions n’existe pas, où l’Angleterre conserve une opinion exagérée de sa force, où nos complaisances sont prises pour un signe avoué de notre faiblesse ! Quel échec pour la politique de M. Guizot, et quel sujet de tristes réflexions pour la France !

Félicitons nos chambres. Elles n’ont pas voulu se séparer sans témoigner au pays qu’elles partageaient son émotion. Le sentiment national a trouvé dans M. Molé et dans M. Billault des interprètes également fermes et mesurés. N’oublions pas M. Charles Dupin, qui a parlé le premier de tous et a excité une sensation très vive, en défendant énergiquement l’honneur de notre marine. Une déclaration a été arrachée à M. Guizot par M. Molé. Venu au Luxembourg avec l’intention bien arrêtée de garder le silence, M. le ministre des affaires étrangères, troublé par l’attitude de la chambre et par le danger de sa situation ministérielle, a protesté qu’il avait à cœur autant que personne l’honneur de notre marine et la défense des droits de nos officiers. On lui rappellera un jour cette déclaration. Elle a une portée que M. Guizot a voulu sans doute atténuer dès le jour même, en ajoutant dans le Moniteur qu’il la regardait comme élémentaire et inutile : il est bon qu’on sache que ce commentaire restrictif n’a pas été exprimé devant la chambre des pairs. Aucun membre ne l’a entendu. L’accueil de la noble chambre ne lui eût pas été favorable.

Ainsi donc, M. Guizot négocie, et la France attend ses actes. On a pu croire un instant que les difficultés s’aplaniraient par le retour subit du ministère anglais à des sentimens plus raisonnables et plus justes ; on a été trompé. Après sir Robert Peel, lord Aberdeen, sans modifier les prétentions