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Telles sont les principales différences entre le grec ancien et le grec moderne. Malgré ces différences, le fond de la langue est encore le même, et elle peut éclairer l’étude du langage ancien de plusieurs manières.

Dans le langage populaire de certaines parties de la Grèce, on retrouve quelques vestiges des dialectes qui y furent parlé autrefois. En général, les anciens dialectes grecs ont péri par suite de la conquête, qui les a éteints avec la vie locale des pays subjugués. Cependant ils n’ont pas disparu entièrement ; on retrouve des traces assez nombreuses du dialecte œolien dans la Béotie et la Phocide, et dans un canton montagneux du Péloponèse, la Tzaconie, le dialecte dorien s’est merveilleusement conservé un certain nombre de mots grecs oubliés par le temps ont été remplacés dans l’usage par une autre expression : ainsi, trecho, courir, au lieu de dremo ; au lieu d’artos, pain, psomi. Eh bien ! il arrive que le vieux mot grec oublié se retrouve dans un coin de la Grèce, par exemple dremo dans les villages du Parnasse[1]. Pour artos, son histoire est plus singulière : après avoir complètement disparu de la langue grecque moderne, il ne se trouve plus que dans le patois de quelques villages des environs de Marseille, où du pain se dit arton, mot qui a été encore entendu en 1830, et qui certainement, ainsi que quelques autres, mots grecs égarés dans les patois provençaux, remonte à l’arrivée des Phocéens sur les rives de la Gaule.

Quelquefois le mot antique a subsisté, mais avec un sens plus ou moins modifié. Il est curieux de rendre compte des causes de cette modification, et de voir pour ainsi dire le grec ancien s’avancer vers le grec moderne. Le mot psari, qui s’emploie exclusivement pour poisson, est dérivé d’opsarion, qui, dans le grec ancien, signifiait en outre bonne chère, bon morceau, parce que chez les anciens le poisson fut toujours regardé comme l’aliment le plus délicat, le plus recherché, témoin les murènes, de barbare mémoire, et le turbot de Domitien. Ou bien un usage antique rend raison de l’emploi d’un mot employé dans le langage moderne ; le vin s’appelle aujourd’hui krasi, c’est-à-dire boisson mêlée, en raison de l’usage où étaient les Grecs de mêler au vin du miel et d’autres ingrédiens. Voici un autre exemple du sens actuel d’un mot expliqué par une particularité de la vie antique dont le souvenir a péri, mais qui a laissé une trace dans le langage parlé de nos jours tragoudin voudrait-il dire aujourd’hui chanter, si la tragédie n’avait pas été chantée ?

  1. Ulrichs, Reisen und Forschungen, p. 128.