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vous allez porter pendant vos dix volumes la peine de votre premier feuilleton.

Avec de l’esprit, une plume aimable et facile, et le commerce habituel d’une époque, on peut donner le jour aux plus invraisemblables fictions. L’auteur de Madame de Favières, M. Houssaye, va nous le prouver.

Dans une petite chambre, chez un menuisier du Marais, loge un joueur de violon, du nom de Franjolé. La chambre du musicien donne sur le jardin de M. le marquis de La Chataigneraie, un roué du régent, qui a un duel par semaine et une nouvelle maîtresse tous les soirs ; ces roués se vantaient. MM. le marquis de La Chataigneraie ; qu’il exagère ou non ses tristes exploits, se lie avec Franjolé par amour pour son violon. Or, il se trouve que Franjolé est amoureux d’une main qui passe chaque jour à travers une jalousie pour jeter une pièce de monnaie à un vieil aveugle qui joue de la flûte dans la rue. Réellement, Franjolé n’a vu que la main, et il aime cette main ; cela se passait ainsi dans le XVIIIe siècle de M. Arsène Houssaye. La Chataigneraie est tombé aussi ’amoureux de cette main, et comme il est plus audacieux que Franjolé, il fait enlever la dame, un soir qu’elle revenait seule avec sa camériste ; au moment où Mme de Nestaing (c’est le nom de la dame) se croit perdue, La Chataigneraie arrive pour la sauver, comme Grandisson, et met en fuite le ravisseur, qui était son compère. Revenue à elle, Mme de Nestaing remercie, avec effusion son sauveur, et le laisse entrer dans cet hôtel mystérieux, où elle ne recevait aucun homme. Quand on demande son nom à La Chataigneraie, il se garde de le dire, vu ses projets ultérieurs ; et, adoptant le premier nom qui tombe sur ses lèvres, il déclare s’appeler le chevalier de Riantz. Mme de Nestaing aime M. de Riantz. Tout allait bien, s’il n’eût existé de par le monde un véritable chevalier de Riantz, qui, apprenant l’abus qu’on fait de son nom, arrive un matin, au petit lever du marquis, et le prie de venir se couper la gorge dans le parc voisin. On se bat. Riantz est tué. Le marquis rompt avec sa maîtresse, et l’occasion est excellente, car il laisse croire à Mme de Nestaing que c’est lui, le faux Riantz, qui est mort. Voilà donc Mme de Nestaing pleurant son amant. Avant de pleurer son amant, elle avait pleuré son mari, lequel n’est autre que Franjolé, qui a jugé à propos, pour se séparer de sa femme après quelque scandale, de passer pour mort. Continuons. Franjolé est toujours amoureux de la main, et comme cette main ne se montre plus à la jalousie il en a demandé des nouvelles, et il a appris qu’elle était partie pour le château de Froidmont. Il va à Froidmont, où il y a bal, et où Mme de Nestaing, déguisée en Diane, est au mieux avec La Chataigneraie, déguisé en Actéon, car l’amant est ressuscité, à la grande surprise de sa maîtresse. Que dira t-elle donc lorsqu’elle verra son mari ressusciter aussi ? Le mari ressuscite ; Franjolé redevient M. de Favières ; pour le coup, à cette seconde résurrection, Mme de Nestaing, ou, mieux Mme de Favières, n’y tient pas et meurt de chagrin, bien et dûment, sans que résurrection s’ensuive cette fois.