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de M. Hugo, M. Ulback compose sur nouveaux frais les Feuilles d’Automne. Son vers a de l’éclat ; c’est ce qu’on peut en dire de mieux, car il n’exprime pas toujours des idées justes ; il est dur parfois et de mauvais goût. Voici une idée fausse :

Et le doute qui chante est bien près de la foi.


Comment ! si je doute et que je me prenne à chanter, je serai sur le point de croire ! L’auteur a-t-il voulu dire que le doute heureux est moins profond, moins enraciné que l’autre ? C’est précisément alors le contraire qui est vrai, car le malheur est la grande route qui mène à la foi. M. Ulback a accouplé des mots sans s’en rendre compte. Voici maintenant du mauvais goût :

Les paroles sont des causeuses.


Voici un vers dur :

Que ton doigt, quand il veut, pour lire plus loin, ôte…


Or, je n’ai pas trié ces exemples sur le volet ; j’ai pris au hasard. Il y a donc de nombreux défauts dans Gloriana ; cependant je ne voudrais pas affirmer qu’une abeille, quand M. Louis Ulback était enfant, n’ait déposé un peu de miel sur ses lèvres.

Je suis sûr que la nourrice de M. Barthélemy Théophile n’entendit bourdonner aucune abeille autour de son berceau. Les Sylvies sont l’ouvrage d’un esprit sensé qui n’aurait jamais dû se piquer de poésie. Tous les sujets traités dans ce recueil annoncent une intelligence nourrie de bonnes études philosophiques et religieuses ; il faut autre chose pour être poète. Ne faut-il pas un peu d’imagination ? A un vrai poète, le poème de Justin et Philon aurait fourni de larges et féconds développemens. Quoi ! vous entrez dans l’empire romain lorsque ce grand empire n’en pouvait plus, vous arrivez au milieu de cette décadence épouvantable, et vous ne trouvez pas de grands traits, pas un seul mouvement ; vous peignez un froid tableau de genre ! Vous êtes jugé. — La manière de M. Barthélemy Théophile se rapproche beaucoup de celle de Louis Racine ; il a dû lire et relire le poème de la Religion : il eût mieux fait de chercher à se pénétrer d'Athalie. D’ailleurs, quand on a le cœur si tranquille ou si loin de la tête, et la tête si loin du bonnet, on n’a rien de commun avec le mens divinior, et l’on écrit en prose ou l’on n’écrit pas du tout. Je ne donne aucun conseil à M. Barthélemy, si ce n’est de prendre congé de la Muse. Fût-il moins ambitieux, et voulût-il descendre au roman, là encore il faut de l’imagination, ou, au lieu de marcher, on se traîne.

Il faut plus que de l’imagination, car nos romanciers n’en manquent pas, et Dieu sait pourtant, la critique aussi, s’ils mettent au monde des chefs-d’œuvre ! Je ne veux pas parler de la Modeste Mignon de M. de Balzac, qui s’est enfin mariée. Certes il y aurait quelque cruauté à troubler les douceurs d’une lune de miel si chèrement achetée par cet excellent Ernest de Labrière aidé de Butscha, lequel à lui tout seul a plus d’esprit que tout le monde