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M. Tanski est un esprit qui observe et qui voit juste. On désirerait seulement qu’il allât un peu plus au fond des choses, et ne se contentât point de jouer à la surface, comme cela lui arrive souvent.

Bien me prend, au sortir de l’Espagne, et avant de m’engager dans d’autres contrées où je pourrais m’oublier, de me souvenir que j’ai à parler de quelques poètes, et qu’il est temps de les introduire devant le lecteur. Je voudrais avoir un gentil page pour les annoncer gracieusement et faire sonner leur nom harmonieux. Je n’ai pas de page et j’annonce moi-même M. Hippolyte Morvonnais. Poète par le cœur, habitué aux longues rêveries, plein de Wordsworth, M. Morvonnais est un lackiste breton. Après un premier recueil, la Thébaïde des Grèves, M. Morvonnais vient d’en publier un second, les Larmes de Madeleine La poésie de M. Morvonnais est une sorte d’idylle chrétienne qui a pris sa source dans Jocelyn. Ce n’est certes pas l’élévation de la pensée qui manque à l’auteur des Larmes de Madeleine, et si chez lui l’art répondait toujours au sentiment, son poème ne serait pas à beaucoup près aussi défectueux. D’abord la création principale serait plus heureuse, car cette pécheresse du grand monde, cette Madeleine qui habite des appartemens dorés et que le paysan breton rencontre dans une église de Paris, le soir, pour qu’aussitôt, sans le connaître, à la première ou à la seconde vue, elle lui confie les secrets de son cœur, les mystères de ses larmes ; cette grande dame n’est pas assez dans la réalité pour être touchante. J’aime mieux Marie de M. Brizeux et aussi Georgine de M. Morvonnais, quoique de Georgine à Marie il y ait encore plus loin que d’un bout du pont Kerlo à l’autre bout.

Le poème de M. Morvonnais est coupé à chaque instant de longs épisodes sous lesquels l’action principale disparaît. J’avoue que je ne comprends pas pourquoi M. Morvonnais a jugé à propos d’enclaver ses églogues dans un cadre dramatique ; elles n’y gagnent pas, et le poète a le désavantage d’avoir créé un drame qui n’est pas intéressant. Un autre reproche qu’il faut adresser à M. Morvonnais, et qui est plus sérieux, parce qu’il s’agit d’un défaut qui étouffe toutes les bonnes qualités, c’est de se livrer à une abondance de détails qui est presque toujours de la diffusion. Rêvez, poète, rêvez long-temps sous vos forêts touffues, au bord de vos étangs mélancoliques : qu’un rien remplisse vos heures, si tel est votre bon plaisir, vous êtes le maître ici et personne n’a le droit de vous demander raison de vos caprices ; mais quand vous écrirez, souvenez-vous que vous ne devez donner au lecteur qu’un choix de vos rêveries, la meilleure part de vos sensations, que vous devez, en un mot, faire de l’or avec de la petite monnaie.

Ne séparant pas assez le lecteur de lui-même, et croyant continuer son monologue, tandis qu’il a admis un interlocuteur, l’auteur des Larmes de Madeleine ne varie pas suffisamment son paysage. Les ajoncs, les glayeuls et les nymphoeas reviennent trop souvent sous son pinceau, et il peint toujours les mêmes choses, parce qu’elles lui plaisent et le touchent toujours, si bien que c’est un paysagiste ému, qui, à force de se complaire dans son émotion,