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pour toute politique la soif de l’ambition et l’amour de la gloire, trop pompeux en habillemens, au dire de Commines, fou de musique, très habile aux échecs, grand prince après tout, et bref, ayant disparu dans la tempête comme Romulus ; le duc de Bourgogne est sur les confins de l’histoire et du roman, où vient se placer aussi Warwick, l’homme à la prodigieuse fortune. Warwick est un souverain véritable, recevant à Londres tout le monde à portes ouvertes, et ayant des tables abondamment servies pour tous, si riche, que dans tous ses châteaux il nourrissait plus de trente mille personnes ; si puissant, qu’il tenait deux rois sous clé, Henri VI à Londres, Édouard IV dans un château du nord ; négociateur adroit, le plus adroit de son siècle, n’ayant pas su finir toutefois et couronner l’œuvre, et terminant misérablement ses prospérités inouïes.

Ces trois figures, Louis XI, Charles-le-Téméraire et Warwick, vivent sous le pinceau de M. Michelet, qui a su également, avec beaucoup d’habileté, dérouler le tableau des évènemens. Tant qu’il ne s’agit que de peindre, l’imagination de M. Michelet le sert à merveille. Quand il s’agit de conclure, M. Michelet est moins heureux. En général, ses conclusions manquent d’étendue, et son coup d’œil, si perçant parfois, ne s’étend pas toujours assez loin.

M. Michelet, dans ce dernier volume, a eu à rivaliser avec deux historiens remarquables, M. de Barante et Jean de Muller. Or, M. de Barante a rempli sa tâche avec une vive intelligence et un goût irréprochable, et Jean de Muller avec un bon sens profond et une grande largeur de vues. M. Michelet a payé, comme il convenait, hommage à ses devanciers ; la note est en tout point convenable : cependant je ne puis m’empêcher de remarquer qu’il appelle M. de Barante et Jean de Muller « deux grands et aimables historiens ; » il me semble qu'aimables n’était pas tout-à-fait le mot juste.

Au milieu des effets heureux de style, on pourrait en noter quelques-uns de bizarres. Il y a aussi dans ce volume quelques inadvertances qui disparaîtront sans doute à une seconde édition. Ainsi, lorsque le roi, en 1465, rentre à Paris après les troubles où il avait failli par hasard perdre la couronne, M. Michelet dit que, « voyant le tyran revenir en force, on s’attendait à des vengeances de Marius et de Sylla. » Et le paragraphe suivant s’ouvre par ces mots : « On savait le roi si peu rancuneux. » Comment, si on savait le roi peu rancuneux, pouvait-on s’attendre à des vengeances de Sylla ? Il y a là une contradiction qui saute aux yeux. À un autre endroit, M. Michelet dit : « À peine roi, il prit l’habit de pèlerin, la cape de gros drap gris, avec les housseaux de voyage, et il ne les ôta qu’à la mort. » Cependant, l’auteur dit autre part que le roi était vêtu d’une riche robe fourrée, car, « ajoute-t-il, vers la fin, il s’habillait richement. » C’est mon zèle pour les intérêts de l’éminent écrivain qui me rend si minutieux.

M. Michelet ne s’est pas contenté d’offrir pour son compte de bonnes pages d’histoire à notre époque ; il a été réveiller au fond de son tombeau une intelligence supérieure oubliée depuis un siècle et demi, et il a eu l’honneur de présenter Vico à la génération nouvelle. Il y a des résurrections