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périls de son fils, s’alarme et défaille, et ne lui pourrait pardonner cependant de les avoir fuis. — Nuño est le vrai soldat des guerres de religion et de race, qui, toujours, poussé en avant par la haine du Maure, serait capable de suspendre aux fourches patibulaires du camp un infant de Castille et l’archevêque de Tolède lui-même, s’ils pouvaient le moins du monde se montrer favorables aux ennemis de son Dieu ; — l’infant don Juan, le seul type abhorré du XIIIe et du XIVe siècle en Espagne, est bien le prince inquiet et sans foi qui, pour assouvir ses ambitions félonnes, ne recule ni devant la révolte ni devant la défection. A côté de ces personnages principaux se détachent heureusement don Pedro, le chevalier de vingt ans, qui épuisera jusqu’aux dernières gouttes de son sang, pourvu que, des hauts balcons de la ville, les yeux noirs d’une femme s’efforcent de distinguer au loin dans les plaines son pennon que balafre le fer recourbé des cimeterres ; — doña Sol, la fière Castillane qui durant la paix se dérobe sous les longs voiles, et pendant les guerres ne veut faire son lit nuptial qu’avec des bannières musulmanes ; — Aben-Comat, enfin, le seul chevalier maure que le drame espagnol ait osé représenter comme étaient réellement les chevaliers maures, si intrépide dans le combat, si généreux après la victoire, que don Guzman lui-même se tient honoré d’être son ami. L’action est simple et dégagée tout-à-fait des incidens et des épisodes qui en pourraient affaiblir l’intérêt ; il suffit de la raconter en très peu de mots pour que l’on puisse voir combien y abondent les péripéties inattendues, avec quelle habileté le poète les amène et les dispose, et comment pour ainsi dire elles se doivent distribuer d’elles-mêmes à tous les actes et à toutes les scènes capitales.

Tarifa est assiégée par les infidèles que l’infant don Juan va rejoindre avec tous ses vassaux. Le jour même où il est armé chevalier, don Pedro tombe au pouvoir des Arabes ; pour le délivrer, son père et Nuño se disposent à faire une sortie générale, quand tout à coup don Pedro lui-même entre dans Tarifa, accompagné d’Aben-Comat. Aben-Comat se voit contraint par les Walis et par l’infant de remplir auprès de Guzman une mission dont il s’acquitte, la rougeur au front et le regard baissé ; il se voit contraint de lui dire que si, au moment où le clairon musulman se sera fait trois fois entendre, il n’a pas livré la place, son fils don Pedro, qui sur sa foi de chevalier a juré de retourner dans la journée même auprès de l’infant, sera mis à mort en vue des remparts. Don Guzman s’indigne d’une proposition si infâme ; sur l’heure même, don Pedro repartira pour le camp ennemi. En vain doña Maria et doña Sol, la mère et la fiance, s’efforcent de le retenir ;