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la même barbarie qui opprime cruellement les précieux germes de sa pensée. Je disais tout à l’heure que M. Schefer avait quitté de bonne heure les formules de l’école hégélienne pour continuer son étude sous les arbres de la forêt voisine, et substituer aux discussions pédantes de gracieuses et sévères églogues ; il les a quittées beaucoup trop tard encore, puisqu’il en a conservé ce style pesant que ne peut soulever la vive imagination du poète.

Le Bréviaire des Laïques n’avait pas obtenu un très grand succès, malgré les qualités réelles qu’il renferme, malgré l’élévation et la sérénité des idées. Le retentissement du livre de M. de Sallet est venu réveiller la muse de M. Schefer ; tenté par l’exemple, il a voulu être décidément le poète de l’école hégélienne. La place était à prendre ; M. Schefer écrivit les Vigiles. Dans son Bréviaire, il était facile, sans doute, de reconnaître un ami de la philosophie nouvelle ; mais l’auteur, nous l’avons vu, ne se donnait pas pour mission de dogmatiser selon les formules de l’école : c’était un allié seulement qui avait conservé la liberté de son drapeau. Cette fois, M. Léopold Schefer vient d’enrôler sa muse. Le voilà soumis à la discipline étroite du dogmatisme hégélien. Il faut dire adieu à cette philosophie charmante, à cette prédication vraiment poétique, à ces textes de sermon qu’il allait cueillir le matin sur les branches humides de la forêt, ou dans les aubépines des buissons. Tout cela a disparu dans les Vigiles. Vigile et jeûne, l’auteur, sans le vouloir, a trouvé le vrai titre. Jeûnons, puisqu’il le faut, et résignons-nous ; renonçons à ce que promettait le Bréviaire des Laïques ; voici, pour toute poésie, les dissertations de M. Feuerbach ou de M. Bruno Bauer, que portent péniblement de pauvres iambes boiteux.

Il y avait dans l’Évangile de M. de Sallet une foi tranquille, une calme ferveur qui souvent inspirait le poète et protégeait la témérité de sa pensée : dans le Bréviaire, dont je viens de parler, on était charmé de la douce gravité des conceptions ; mais ici, dans les Vigiles, comment trouver autre chose qu’un jeu d’esprit, un tour de force, une gageure fantasque ? Il est absolument nécessaire que la philosophie hégélienne, la nouvelle surtout, soit régulièrement versifiée depuis la préface jusqu’à la conclusion Pas une sentence, pas une formule n’échappera au poète ; il les forcera, l’une après l’autre, à venir recevoir de ses mains le poétique costume qu’il a préparé pour elles. Je voudrais bien ne pas rire en des questions si graves, mais est-il rien de si plaisant que cette philosophie endimanchée ? Celui qui mettait l’histoire romaine en madrigaux a trouvé son maître. L’auteur, pour rompre la monotonie de