Page:Revue des Deux Mondes - 1844 - tome 7.djvu/601

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de cette veine, et continuant l’exemple qui vient d’être donné, publie en ce moment même un recueil de poésies toutes consacrées à la doctrine hégélienne ; il les intitule Vigiles. Évangile, bréviaire, vigiles, voilà déjà une littérature canonique fort bien commencée. Le panthéisme complète peu à peu ses livres saints. Nous aurons peut-être bientôt l’Apocalypse par M. Arnold Ruge, plusieurs épîtres aux Corinthiens par M. Bruno Bauer, et pourquoi M. Feuerbach ne nous donnerait-il pas l’ordinaire de la messe ? Voyons d’abord le Bréviaire et les Vigiles de M. Léopold Schefer.

Ce bréviaire est un recueil de pièces morales consacrées à chacun des jours de l’année. Ce qui y respire surtout, c’est un immense amour de la nature. Le monde extérieur, avec ses enchantemens sans cesse renouvelés, est le temple mystique où chante le poète. Un souffle véritablement religieux remplit toutes ses pages ; Dieu y est partout présent. Sans doute on ne saurait pas toujours dire quel est ce dieu ; tantôt c’est le dieu du christianisme, supérieur au monde et qui l’éclaire, tantôt le dieu du panthéisme moderne ; mais malgré ce qu’il y a de vague dans les croyances du poète, un ardent amour de la divinité y éclate à chaque vers. L’auteur assiste à toutes les transformations de cette terre où s’épanouit son ame ; un brin d’herbe qui tremble dans le creux d’un sillon, une fleur qui pousse, un bouton qui s’ouvre, la première bouffée de chaleur qui annonce le printemps, ce nuage qui passe, les plus petits spectacles, les moindres évènemens de la vallée et de la forêt, tout l’enchante, tout lui rappelle l’universelle présence de la Divinité. Il ne songe guère au dogme comme M. de Sallet, et il n’a pas encore l’idée de faire chanter à sa muse les doctrines de Hegel. Le poète a quitté l’école de bonne heure ; il en a bien retenu les idées générales, la direction et le mouvement de l’esprit, mais les dogmes particuliers, les doctrines expresses que l’Évangile des Laïques s’est chargé d’enseigner, ne les lui demandez pas encore. Non, il s’est enfui de l’école, et tandis que les docteurs continuent de dogmatiser, le voilà qui prie sur la lisière du bois, sous le chêne de la montagne, près de la fontaine murmurante. Quand le soleil se lève, quand le soleil se couche, il écoute la voix de la nature harmonieuse, et c’est l’alouette, ou le bruit de la source, ou le gémissement du vent dans les feuilles du peuplier, qui achève pour lui la leçon interrompue du maître. Il prêche alors, mais non pas comme M. de Sallet, sur un texte de l’Evangile ; son texte pourrait s’indiquer ainsi : une fleur s’est épanouie ce matin, le bouvreuil a chanté sur mon arbre ; hier soir, au couchant, deux nuages d’or se sont arrêtés sur la colline. Tel est l’évènement