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eut fait de son corps un cadavre ; vous dirai-je comment il m’est apparu ? Il était couché dans le cercueil, beau et gracieux ; nous avions placé sur son grand front une couronne de lauriers. On eût dit un de ces poètes d’un temps plus heureux, le Tasse, l’Arioste ! Il était facile de voir, malgré les coups de la mort, qu’il avait été une des plus nobles ames de ce temps-ci. Nous l’ensevelîmes en silence. Qu’aurait pu dire un prêtre sur une telle tombe ? »

Ainsi s’annonçait gravement, ainsi vient de mourir un des hommes les plus sérieux et les plus dignes parmi les disciples de la jeune école hégélienne, celui qui avait voulu être son poète. Il eût réussi peut-être, s’il avait vécu, à concilier d’une manière plus harmonieuse les différens élémens qui luttent et se heurtent dans ses vers. Il aurait dû s’attacher à assouplir sa langue, à secouer le joug des programmes de l’école. Son ame noble, calme, animée des plus généreuses intentions, eût pu redresser les erreurs de son esprit, et, en se débarrassant de l’esprit de secte, il n’était pas impossible qu’il donnât à l’Allemagne un grave poète moraliste. Une mort prématurée n’a point permis qu’il fît ce travail sur lui-même. Toutefois l’ouvrage qu’il a laissé a fait autre chose que d’ajouter un nom à la liste des évangiles apocryphes, puisqu’il nous montre, au milieu d’un gnosticisme bizarre, des qualités vraiment recommandables, qui auraient pu se dégager un jour et être conduites à bien.

Avec M. de Sallet, l’école hégélienne a perdu plus qu’un écrivain, elle a perdu un homme, un caractère droit et sérieux. Le zèle que ses amis ont apporté à honorer sa mémoire, à publier ses derniers écrits, à recueillir ses feuilles dispersées, dit assez haut combien cette perte a été vivement sentie. Peut-être dans cet empressement a-t-on agi un peu vite ; tout n’était pas à conserver dans les fragmens inachevés de l’auteur. Le livre intitulé les Impies et les Athées de notre temps, qui a été récemment publié, n’est guère qu’un recueil de lieux communs sans valeur. Beaucoup de vers aussi ont vu le jour, et il n’est pas sûr que le poète se fût décidé à les donner sous cette forme imparfaite. Je crois qu’on a trop compté sur l’autorité de son nom.

Cette autorité, en effet, commençait à être considérable dans l’école hégélienne, et voici déjà que M. de Sallet a trouvé des imitateurs. Un écrivain assez distingué, romancier et poète, M. Léopold Schefer, avait publié, quelques années avant l’Evangile de M. de Sallet, un poème intitulé le Bréviaire des Laïques. Cette œuvre, malgré un mérite réel d’élévation et de grace, avait été peu remarquée ; elle l’a été davantage depuis le succès du livre de M. de Sallet. Or, l’auteur, profitant