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M. Strauss est dur et impitoyable ; M. Feuerbach s’efforce d’être gracieusement impie ; M. de Sallet n’est ni dur ni prétentieux, il croit ce qu’il proclame, et je ne sais quelle mélancolie vient tempérer chez lui et adoucir l’esprit de système. Une chose me frappe encore : que les doctrines de ce panthéisme puissent séduire les intelligences, il n’y en a que trop d’exemples ; mais il est rare de rencontrer un homme dont elles aient pénétré le cœur, qui y soit attaché avec amour, avec douleur, et au point de régler sa conduite d’après ces théories. Eh bien ! cet homme, il est trouvé, le voici : c’est M. Frédéric de Sallet.

Cette piété très sincère de l’auteur, ce mysticisme appliqué à de tels égaremens, est le caractère distinctif de son livre. Voilà pourquoi on se laisse volontiers aller à cette lecture ; il y a là un charme bizarre, mêlé de compassion. On voit se dérouler, l’un après l’autre, ces tableaux sacrés, ces pages merveilleuses de l’Évangile, ces divines scènes du lac de Nazareth, et toujours avec un sens nouveau, avec un commentaire inattendu. De la meilleure foi du monde, sans aucune intention impie, l’auteur détourne à son profit l’enseignement de Jésus : voilà saint Jean devenu, grace à lui, docteur à l’université de Berlin, et saint Luc attaché à la rédaction des Annales de Halle. D’abord, ce sont les récits de l’enfance du Christ, Jésus dans le temple enseignant les docteurs de la loi, puis les grandes scènes, la tentation dans le désert, le sermon sur la montagne, etc.. Si l’auteur a trouvé le moyen de prêcher sa doctrine sous le voile des premiers chapitres de l’Evangile, le sermon sur la montagne sera pour lui une occasion dont il s’emparera avidement : chaque parole du Christ, chaque point du sermon est longuement développé, et j’ai dit dans quel sens. Toutefois, c’est le dogme surtout qui est bouleversé par M. de Sallet ; la morale chrétienne est souvent conservée et enseignée avec noblesse. L’auteur n’est jamais descendu aux saturnales qui ont si fort séduit ses amis ; au contraire, sa parole est grave et rigide, et il n’y a point trace dans son livre de cet épicurisme vulgaire qui est devenu, chez quelques-uns, le terme désiré, la conclusion suprême de la philosophe hégélienne. Je voudrais savoir l’opinion de M. Feuerbach sur ce ferme chapitre où le poète, prêchant la chasteté d’après les paroles du Christ, repousse avec dégoût les théories sensuelles de nos jours. Peut-être M. Feuerbach a-t-il pardonné : M. de Sallet était jeune et nouveau venu, il ne connaissait pas encore le fond de la doctrine, le secret des Annales de Halle ; on l’aurait tout-à-fait converti un jour ; d’ailleurs ses intentions étaient bonnes, il avait rendu de grands services à l’école par cette poésie naïve et populaire, et, s’il errait sur la morale, pour